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— Vous savez Jean, il ne faut jamais avoir peur de donner une part d’accessibilité à la démesure de nos envies…
***
(suite)
Jeudi…
Monsieur Coton dormit très mal cette nuit-là. Son inconscient l’avait guidé dans une suite de rêves sans queue ni tête dans lesquels Eva-Nescencia jouait toujours le premier rôle. C’est bien malgré lui qu’il dût se retrouver assis à son bureau devant des piles de chiffres entassés sur des dizaines de pages, son esprit n’attendant plus que l’heure du lunch afin d’être libéré.
— Bonjour mon cher!
— Bonjour Mademoiselle Eva! Je voudrais m’excuser pour hier…
— Ne vous en faites pas, c’est déjà tout oublié… De toute manière, j’ai eu droit aux plus grands remer-ciements lorsque je vous ai vu goûter aux profiteroles…
Monsieur Coton rougit, mais ne put dissimuler un semblant de sourire alors qu’il se rappelait trop bien de ce moment d’exaltation très intense.
Ce midi-là, elle lui servit un magret de canard en le regardant directement dans les yeux. La jeune femme était prête à toute réplique, mais devant son attitude de défi silencieux, Monsieur Coton n’osa même pas riposter. Il fit une légère moue, mais dégusta avec appétit la viande fondante et légèrement sucrée qu’elle venait de lui apporter.
Quelques instants plus tard, Eva s’approcha furtive-ment de lui et lui glissa à l’oreille :
— Vous voyez comme c’est bon! Et en plus, ce n’est pas la saison des tomates alors pour la salade parisienne…
En passant, j’ai un petit quelque chose pour vous si vous me promettez de me le remettre plus tard…
Eva cachait joyeusement ses mains derrière son dos comme une gamine.
Monsieur Coton se laissa agréablement guider par sa curiosité, lui qui n’avait jamais vraiment reçu de cadeau. Elle lui tendit alors un bouquin.
— Lisez ça et vous m’en donnerez des nouvelles…
Monsieur Coton fut ému par son geste. Eva venait de lui offrir un livre.
— C’est un de mes bouquins préférés, dit-elle. Vous l’avez déjà lu?
Le comptable tentait vainement de se remettre du choc de ce présent qu’on venait de lui offrir.
— Non, bredouilla-t-il. Mais n’est-ce pas un des livres que Romain Gary a publié sous un nom d’emprunt?
Il tenta par tous les moyens de ne pas laisser trahir le tourbillonnement d’émotions qui s’engouffrait en lui comme un raz-de-marée.
— Vous avez raison, c’est Romain Gary qui a écrit ce livre sous le pseudonyme d’Émile Ajar… Il raconte l’histoire extraordinaire d’un homme qui se refuse à vieillir… Celui-ci plonge dans une incroyable quête de lui-même à travers ce qu’il donne aux autres… D’après moi, la générosité est souvent un acte éminemment égoïste, mais tellement important en soi…
Le magnifique personnage de Monsieur Salomon, son héros, m’a fait réaliser à quel point j’aimais vivre des parcelles de la vie des autres, même si elles ne sont souvent que fictives… C’est peut-être mon plus grand défaut, je suis très curieuse, dit-elle en riant.
Eva avait une voix envoûtante comme si aucune barrière ne venait la séparer d’une intime complicité qu’elle entretenait avec ses rêves. Elle poursuivit alors la conversation.
— Vous savez, j’ai souvent la mauvaise habitude d’observer les gens au point de m’imaginer à quoi ressemble leur vie pour le simple plaisir d’y participer à ma manière…
— Et la mienne, vous l’imaginez comment? dit-il.
Monsieur Coton fut surpris et intimidé en réalisant la portée des paroles qu’il venait de prononcer. Il ne voulait surtout pas savoir.
Eva lui sourit, mais s’abstint de répondre.
— Je suis certaine que vous allez aimer ce livre… La sensibilité qui s’en dégage est magnifique…
La jeune femme dut alors se remettre de ses emportements littéraires puisqu’elle était demandée à une autre table.
Monsieur Coton paya immédiatement, sans attendre qu’elle lui apporte un dessert. Il prit le précieux livre et s’arrêta quelques instants au parc afin d’y lire les premières pages. Il se sentit aussitôt envoûté par la présence du roman entre ses mains, roman qu’elle avait aimé, contemplé du regard, caressé de ses doigts, et qui maintenant, lui était prêté.
C’est très tard dans la nuit que Monsieur Coton sombra dans un sommeil sans rêves avec à son chevet, « l’angoisse du roi Salomon » dont il venait de terminer la lecture.
***
(À suivre)
* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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