─ Vous auriez dû voir la belle surprise qu’il m’a faite… Je me suis levé ce matin pour aller faire mon jogging avant mes cours et en sortant, il y avait un plan d’orchidée à ma porte et un petit mot… Je n’avais encore jamais reçu une plante en cadeau, mais comment a-t-il pu deviner que c’était de loin ma fleur préférée?
(suite)
─ Tu sais, je crois qu’il y a des gens qui croisent nos vies et qui ont cette faculté de nous faire basculer dans les Abymes de la lumière… Nous devenons alors plus transparents… Je t’ai souvent parlé de ma première rencontre avec Gaïa, mais je ne sais pas si je t’ai déjà dit que cette fameuse journée où elle est entrée dans ma librairie, nous avons échangé sur la littérature devant un expresso, puis elle a fini par me dire qu’elle devait quitter, mais qu’elle allait bientôt revenir pour poursuivre cette discussion… Elle a cependant ajouté qu’elle était convaincue que je devais commencer à lire « À la recherche du temps perdu » que je n’avais encore jamais eu le courage d’entamer à sa grande surprise… Ce livre allait se révéler être le plus grand tournant de ma vie si j’exclus la présence de Gaïa, et je me questionne encore souvent sur la source de cette recom-mandation… Comment avait-elle pu deviner après seulement quelques minutes de conversation que ce livre allait me marquer ainsi et me donner le goût d’écrire?
Proust disait justement : « Pour tous les éléments qui dans la vie et ses situations contrastées se rapportent à l'amour, le mieux est de ne pas essayer de com-prendre, puisque, dans ce qu'ils ont d'inexorable comme d'inespéré, ils semblent régis par des lois plutôt magiques que rationnelles. »
Cédrika resta sans mots. Elle aimait tellement entendre Octavio parler. Cet homme était la principale raison qui rendait son travail attrayant. Sans lui, le kiosque aux fleurs aurait perdu une bonne partie de ses couleurs.
─ Si vous saviez comme j’aimerais posséder une infime part de votre sagesse… On dirait que vous arrivez toujours à percevoir une touche de lumière dans tout ce qui m’apparaît comme étant sombre ou incom-préhensible… L’homme aux fleurs la regarda avec sollicitude. Elle poursuivit aussitôt.
— Mais pour revenir à ma fleur, je suis follement heureuse que Gabriel ait deviné pour les orchidées même si je n’y comprends rien… Il m’a aussi invité à passer le week-end avec lui dans les montagnes… Ses parents y ont une très jolie petite maison de campagnes m’a-t-il dit… Ça va me faire du bien je crois de quitter un peu la ville… J’ai sérieusement besoin de faire le vide…
─ Ce qui est drôle avec toi, c’est que tu vas sûrement trouver le moyen de remplir tout ce que tu vas réussir à vider, dit-il en riant.
─ J’aimerais vous prouver le contraire, mais bon, il semble que mes parents aient eu certaines défaillances lors de ma conception…
Le vieil homme acquiesça d’un signe de tête et la jeune femme feignit l’indignation.
─ Si c’est ainsi, je ne vous retiens pas Monsieur…
Il déposa alors son genou devant elle et prit le premier bouquet qui lui tomba sous la main tout en s’em-pressant de lui tendre pour se faire pardonner. Cédrika se mit à rire de bon cœur, puis continua la discussion.
─ Vous savez, c’est la première fois que je vais passer plus qu’une soirée avec Gab… Ça me rend un peu nerveuse, mais depuis que je le connais, il n’y a jamais eu de moments d’inconforts entre nous alors tout devrait bien se passer… C’est plutôt quand il n’est pas là que ma tête se met à déraper…
─ Laisse-toi du temps et profite du moment présent… Je suis convaincu de toute manière qu’il a aussi peur que toi…
─ Peut-être… En fait, je ne sais même pas ce qu’il peut me trouver… Je suis tellement compliquée… En plus, je me sens parfois comme une petite fille qui n’a rien vu quand je suis devant lui…
─ Il ne m’a pas paru si vieux pourtant…
─ Vous l’avez vu? Dit-elle avec surprise.
─ Les contemplateurs ont des yeux partout très cher, lui répondit Octavio en souriant.
Cédrika resta intriguée.
─ Gabriel est certainement plus vieux que moi, mais je ne sais pas son âge véritable… Il préfère dire qu’il a l’âge de ses délires et que de toute manière, celui-ci change à chaque seconde, mais quand je l’écoute parler, je sens surtout une grande différence de vécu…
─ J’en avais une très grande aussi avec Gaïa et nous avions pourtant le même âge… Elle avait cependant une expérience de vie bien différente de la mienne et pendant longtemps, je me suis senti intimidé par le regard qu’elle semblait en mesure de porter sur tout ce qui l’entourait…
─ Ce n’est pas toujours facile à gérer ce genre de situation, et en plus, vous connaissez ma tendance naturelle à dénigrer tout ce que je peux faire… Le poète soupira à haute voix.
─ Une championne du monde toutes catégories, dit-il.
─ Mais bon… C’est ainsi… Moi je n’ai eu qu’un seul véritable amoureux alors que Gabriel a eu plusieurs copines… Il m’a souvent parlé d’une femme qui a marqué profondément sa vie alors je me dis qu’avec le recul, il a certainement appris beaucoup sur lui-même après avoir vécu cette vertigineuse chute amoureuse…
─ Crois-moi, on apprend beaucoup plus qu’on le voudrait…
Cédrika sentit une certaine douleur percer la voix d’Octavio. Celui-ci choisit alors deux bouquets de marguerites blanches.
─ Bon… Je te laisse travailler un peu ma jolie reine…
L’homme aux fleurs installa sa chaise pliante un peu en retrait du kiosque, alluma sa pipe, et alors qu’il sortait une première branche du bouquet, elle vit aussitôt revenir la lumière dans ses yeux.
*
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!