Pour recevoir la suite sur votre email

Enter your Email


Preview | Powered by FeedBlitz

samedi 14 août 2010

La part des ombres (105 à 108)


Le temps s’était passablement rafraîchi au cours de la nuit et on sentait une pointe automnale se profiler dans le bleu acier du ciel. Cédrika était de retour à son travail et se sentait beaucoup mieux que la veille. Elle eut toutefois un pincement au cœur en regardant les immenses tournesols qu’ils avaient reçus et qui annonçaient très bientôt la véritable fin de l’été. Il ne restait plus qu’une quinzaine de jours avant que le kiosque ne ferme ses portes pour profiter du long silence hivernal. C’est dans ce même élan de nostalgie qu’Octavio se présenta pour acheter ses fleurs. Cédrika retrouva aussitôt son sourire en l’apercevant.


(suite)


— Si ce n’est pas mon poète préféré… La jeune femme sentit toutefois une certaine langueur chez son ami. Vous allez bien?

― Merveilleusement bien, dit-il d’un ton qui ne pouvait cacher son manque de conviction.

― Je ne crois pas que nous donnons le même sens aux mots « merveilleusement » aujourd’hui…

― Bah… Je me sens simplement un peu plus mélan-colique qu’à l’habitude avec le changement de saison… Mais tu sais, la mélancolie est un sentiment qui a beaucoup de similitudes avec celui du bonheur… Je me sens donc merveilleusement bien puisque je suis encore plus fragile qu’à l’habitude…

― Ça vous arrive parfois de ne pas savoir comment exprimer ce que vous ressentez, dit-elle en riant. Car je crois que j’aurais besoin de cours intensif… Vous avez tellement toujours réponse à tout…

― Le problème, c’est que chaque réponse engendre des dizaines d’autres questions et dans ton cas, ce ne serait pas à conseiller…

Ils se mirent tous les deux à rigoler, mais le regard d’Octavio se fixa un long moment sur les bouquets de marguerites qu’elle venait de préparer.

― Une chose est sure, c’est qu’on ne doit pas s’ennuyer dans votre tête, lui dit la jeune femme.

― Ce serait triste si c’était le cas… Mais toi ma jolie reine, tu sembles aller beaucoup mieux?

Cédrika était effectivement lumineuse. Elle avait eu de bonnes nouvelles de sa mère au cours de la matinée, puis Gabriel lui avait téléphoné pour l’inviter à manger dans un restaurant de sushis un peu plus tard.

— Je me sens mieux… Ma maman a subit sa première séance de chimio thérapie hier et elle n’a pratiquement pas ressenti d’effets secondaires aux traitements… Son médecin a dit que c’était un signe encourageant…

Octavio ne put s’empêcher de penser au médecin de Gaïa qui n’avait malheureusement pas été aussi optimiste dans son diagnostic. Un cancer des ovaires venait de la rendre stérile en plus de menacer sérieu-sement sa vie.

― Quelle bonne nouvelle, finit-il par dire. Tu vois, c’est souvent ainsi l’automne… Il y a des couleurs qui restent, d’autres qui se mettent à exister, mais il y a toujours de grands changements… Tu savais que le mois de juillet est généralement le mois où il y a de plus de naissance dans une année? Si tu fais le calcul, on peut donc en conclure que l’humain fait plus souvent l’amour au mois d’octobre que dans tous les autres mois probablement avec l’espoir inconscient de continuer à exister à travers les yeux de leurs enfants… Nous nous imaginons peut-être devenir un peu comme ces feuilles qui finissent par tomber, mais qui à travers la mémoire des autres, perdurent un peu tout en devenant une sorte de soutien de cet immense arbre qu’est celui de l’humanité…

― Il n’y a que vous pour imaginer de telles choses, mais c’est très joli comme image…

― Ce n’est pas moi qui imagine, c’est nous qui sommes faites ainsi… On ressent beaucoup plus inten-sément le poids de notre existence et la fragilité de celle-ci pendant cette saison…

― Parlant d’enfant, je ne vous ai jamais demandé si vous en aviez eu? Je vous imagine très bien en père…

Octavio resta paralysé. Cédrika avait les yeux plongés dans un sceau de fleurs et ne put lire le désarroi total qu’avait provoqué sa question chez son ami, mais en levant la tête vers lui, elle sentit le poète ébranlé. Celui-ci retrouva toutefois sa contenance habituelle en répliquant avec une de ces petites phrases philoso-phique dont il connaissait le secret.

― Les enfants, pour en avoir, il faut les mériter, dit-il avec une fausse modestie.

Cédrika n’osa pas pousser plus loin la discussion. Octavio en profita pour changer rapidement de sujet.

— Je vais te prendre des tournesols aujourd’hui… Les gens seront heureux de recevoir un de ces petits soleils de poche qui leur rappellera l’été qui vient de nous quitter…

― Vous croyez que c’est définitif ce temps? Il faisait encore si chaud hier…

― Je ne suis pas une marmotte, mais j’ai l’impres-sion que l’automne est maintenant là pour rester…

― C’est ce que je me disais aussi, mais bon, j’espérais… Au moins, le soleil est toujours au rendez-vous… Ce ne sera pas facile encore une fois cette année de fermer le kiosque et de quitter jusqu’au printemps…

― Tu vas me manquer ma petite reine… lui dit le poète d’un ton qui ne pouvait cacher son émoi.

― Vous allez me manquer aussi… Si vous saviez… Qu’est-ce que je vais devenir sans mon confident, ni mon partenaire de théâtre?

L’homme aux fleurs lui fit un clin d’œil en signe de remerciement pour toutes ces petites choses qu’ils avaient échangé ensemble au cours de l’été.

― Nous n’en sommes pas encore à la fermeture alors laissons de côté nos regrets et profitions un peu des couleurs de l’automne qui commencent à poindre, lui dit-il en regardant les feuilles du tilleul qui avait pris une teinte caramélisé sous la lumière du soleil.

― Merci à vous, lui répondit-elle en le regardant avec une très grande reconnaissance.

D’un élan spontané, Cédrika sortit une marguerite d’un de ses bouquets et l’offrit à Octavio. Les yeux du poète se mirent à briller de cette curieuse lumière intérieure que l’on retrouve parfois dans le regard de ceux qui savent donner une valeur particulière aux gestes les plus simples. C’était la première fleur qu’on lui offrait depuis des années.

*


(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

Evanescence (page 100 à 103)


Il quitta plus tard le restaurant pour se diriger directement vers le cimetière du Père Lachaise afin de pouvoir raconter ses dernières péripéties aux deux Chopin.


(suite)


*


En arrivant chez elle, Eva vérifia immédiatement si elle avait reçu du nouveau courrier. Malheureusement, sa boite aux lettres était vide et aucune enveloppe n’avait été glissée sous sa porte par la concierge. La jeune femme décida aussitôt de relire la lettre de Moscou simplement pour se laisser enivrer à nouveau par les mots de son mystérieux correspondant.

Tout en caressant son chat, Eva se souvint de ce même jeu qu’elle avait tenté d’établir avec un jeune garçon dans ses années de collège. Celui-ci n’avait malheureu-sement aucune habilité pour jouer avec les mots et la pauvre adolescente fut déçue par l’expérience, elle qui déjà à l’époque, s’imaginait jouer le rôle d’une Roxane dans Cyrano…

Cette fois-ci par contre, le ton utilisé par son mystérieux admirateur et le vouvoiement qu’il avait décidé d’utiliser l’avait conquise dès le début. Elle s’était sentie transporter dans une autre époque par cette découverte de Moscou et son imagination avait fait le reste du travail.

Malgré les multiples relectures de la lettre, Eva n’avait toujours pas élucidé le mystère de celui qui se cachait derrière ces mots. Ce Papillon semblait pourtant si bien la connaître.

Ne s’avouant pas vaincue, elle ferma sa lumière de chevet pour mieux s’endormir, tout en espérant rêver à la suite de cette intrigante histoire…


*


Pendant plus d’une semaine, Eva vécut dans l’attente de recevoir un nouveau message de son correspondant. Ses réveils avaient peu à peu perdu l’abandon dans lequel elle aimait se vautrer pendant de longs moments en compagnie de son chat. Maintenant, aussitôt qu’elle ouvrait les yeux, Eva se levait de son lit avec l’espoir fou de trouver une nouvelle lettre qu’on aurait glissé sous sa porte.

Sa déception des premiers jours finit néanmoins par se dissiper tranquillement. Elle avait même rangé la première missive dans son placard afin d’oublier un peu toute cette histoire et plongea dans la lecture captivante du monde de Pennac qu’elle avait décidé de relire en entier. Elle passa donc une bonne partie de son temps entre les tribulations de la famille Malaussène, son travail au restaurant, les griffes de son chat et les poubelles de ses voisins.

Ce n’est que douze jours plus tard, soit le 2 décembre, qu’Eva reçut une nouvelle lettre non pas de Moscou, mais plutôt de Berlin. Celle-ci était datée du 16 novembre.

Elle eut droit encore une fois à une missive teintée de douceur comme une subtile caresse de l’esprit que venait de lui offrir celui qui savait trop bien trouer les mots justes.

Ce papillon lui fit découvrir les principaux attraits touristiques de cette ville allemande, mais d’une manière si sensible qu’elle se sentit encore une fois transporter à même les yeux de son correspondant. Elle put parfaitement imaginer les ruines de guerre décrites avec une émotion qui la toucha plus particulièrement, son grand-père russe ayant participé à cet affrontement y laissant même sa vie. Elle put aussi assister au spectacle unique de l’horloge à eau telle qu’elle lui fut racontée. Elle put goûter à l’atmosphère féerique des marchés de Noël qui s’étaient déjà installés sur la place de l’église. Elle marcha avec lui sous les tilleuls de la rue « Unten des Linden », avenue historique où avaient eu lieu la majorité des défilés militaires autant prussiens que nazis. Elle fut même touchée aux larmes lorsque son correspondant lui fit la triste description de la place où se trouve une plaque de verre commémorant le grand bûcher où les nazis avaient brûlé une quantité innombrable de livres en 1933.

Tout dans cette lettre l’interpellait avec intensité comme si les mots utilisés étaient le reflet de sa propre sensibilité et encore une fois, ce fameux papillon avait ajouté une photo. Cette fois-ci, la femme choisie était placée un peu en retrait et faisait partie du décor puisqu’elle se tenait devant le Palais de la République.

Son mystérieux admirateur terminait sa lettre en soulignant qu’une photo, aussi beau le décor soit-il, ne pouvait avoir d’âme que si une personne acceptait indirectement de partager la sienne afin d’immortaliser ce bref moment d’éternité.


« J’espère avoir su captiver votre esprit telle ma plume caressant doucement ce bout de papier qui pour moi, ne représente rien d’autre que la douceur de votre visagefurent ses derniers mots… »


(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

jeudi 12 août 2010

La part des ombres (103 à 105)


J’ai maintenant la certitude que nous étions l’un pour l’autre des mathématiciens du temps qui savait user de leur science pour diviser et surtout rapprocher l’espace séparant l’avenir, du présent de nos souvenirs.»


(suite)

*

Le vieil homme sortit un album de Jaques Brel, puis il choisit d’écouter la pièce « les Bonbons » que sa femme adorait particulièrement. Il alluma quelques chandelles et se servit un doigt d’absinthe dans un verre de glace avec un carré de sucre. Il servit la même chose dans un autre verre pour elle. C’était leur petit rituel intime depuis leur voyage à Prague où ils avaient découvert cet élixir qui permettait selon elle de mieux ressentir les différentes dimensions de la psychologie humaine. Ils avaient alors réinventé le monde et depuis, à chacun de leur anniversaire réciproque, ils renouaient avec cette belle tradition comme s’ils offraient quelques nouvelles couleurs à leurs souvenirs.

« À ta santé ma belle! » dit-il en levant son verre vers le ciel.

Il trinqua plus rapidement qu’à son habitude, puis sans hésitation, il prit celui de sa femme et le but d’un trait. Le vieil homme sentit aussitôt les effets pernicieux de l’absinthe et se mit à écouter la voix de Monsieur Jacques comme elle aimait appeler Brel avec une attention particulière. Il fut touché encore plus qu’à l’habitude par la profondeur de la voix du chanteur et en oublia tout le reste. C’est alors que débuta la chanson des vieux amants et à cet instant précis, il fut convaincu que c’est sa présence à elle et non son sang à lui qui irriguait tout son corps.

Le vieil homme se mit à fredonner le refrain. « Ô mon amour… Mon doux mon tendre mon merveilleux amour… De l'aube claire jusqu'à la fin du jour…
Je t'aime encore tu sais, je t'aime…
»

Mais que peuvent bien valoir nos certitudes dans de tels moments de fragilités, allait-il se demander un peu plus tard au cours de cette même soirée. Très peu, aurait-il pu se répondre, si ce n'est qu'elles permettent parfois de croire en quelque chose et par le fait même, de s’y accrocher...


*


Le temps s’était passablement rafraîchi au cours de la nuit et on sentait une pointe automnale se profiler dans le bleu acier du ciel. Cédrika était de retour à son travail et se sentait beaucoup mieux que la veille. Elle eut toutefois un pincement au cœur en regardant les immenses tournesols qu’ils avaient reçus et qui annonçaient très bientôt la véritable fin de l’été. Il ne restait plus qu’une quinzaine de jours avant que le kiosque ne ferme ses portes pour profiter du long silence hivernal. C’est dans ce même élan de nostalgie qu’Octavio se présenta pour acheter ses fleurs. Cédrika retrouva aussitôt son sourire en l’apercevant.


*

(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

Evanescence (page 98 à 100)


Eva resta estomaquée.

C’est sur ce doux vertige mystérieux qu’elle dut finalement partir travailler.


(suite)

*

Tiens… quelle belle surprise!

Monsieur Coton venait d’entrer dans le restaurant et avait l’air exténué.

— Vous semblez très fatigué Jean… C’est la rumba des vacances qui vous donne cet air?

Eva aimait bien utiliser un ton moqueur avec lui.

— Si c’était le cas, dit-il en baissant légèrement les yeux. Malheureusement mes vacances furent de très courte durée… J’ai un nouvel emploi depuis quelques jours qui est venu perturber considérablement mon rythme du sommeil…

― Mais c’est une merveilleuse nouvelle pour l’emploi… Vous voyez comment les choses s’arrangent toujours d’elles-mêmes… En plus, je vais pouvoir vous revoir plus souvent…

― Ohhh si c’était le cas… Je travaille assez loin d’ici, de l’autre côté de la ville, mais j’ai heureusement parfois des congés…

― Oh! C’est dommage dit-elle d’une voix attristée.

Monsieur Coton fut touché par sa candeur, mais il changea rapidement de sujet.

Mais vous au contraire, vous me paraissez rayonnante… Vous semblez presque amoureuse?

Monsieur Coton aurait aimé conserver le même timbre de voix, mais cette allusion douloureuse lui avait éraillé la gorge.

— Non… malheureusement, mais qui sait ce que l’avenir me réserve… J’ai même des admirateurs aux quatre coins de la planète…

Le rire d’Eva s’éclipsa lentement comme d’infimes poussières passant devant un rayon de soleil.

Monsieur Coton souriait maintenant et semblait fier de lui malgré la fatigue des nuits inconfortables qu’il venait de passer dans un train. Il revenait tout juste de Berlin où il avait passé les deux derniers jours.

Eva venait pour sa part de recevoir la première lettre, celle qu’il avait écrite de Moscou. Il avait bien sûr pensé à changer la date inscrite sur sa missive pour éviter tout soupçon de la part de la jeune femme, une simple erreur pouvant le trahir.

En effet, samedi le 5 novembre, jour où il était revenu de la Russie, Eva lui avait servi une entrecôte tellement crue qu’il avait dû fermer les yeux afin de terminer son repas. La moindre vision de sang lui donnait des haut-le-cœur. Eva avait tellement ri de voir ses simagrées qu’elle se souviendrait certainement de cet épisode si elle devait se mettre à le soupçonner.

Monsieur Coton devait aussi tenir compte des délais postaux différents pour chacun des pays qu’il allait visiter afin de donner une certaine cohérence à sa correspondance.

Il aurait bien aimé trouver un moyen subtil ce midi-là pour faire parler Eva-Nescencia de la lettre qu’elle semblait avoir reçue, mais sa timidité légendaire et la prudence le confinèrent à un silence contemplatif de la jeune femme pendant toute la durée du repas.

Il quitta plus tard le restaurant pour se diriger directement vers le cimetière du Père Lachaise afin de pouvoir raconter ses dernières péripéties aux deux Chopin.


*

*

(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

mercredi 11 août 2010

La part des ombres (99 à 102)


Octavio ne put s’empêcher de penser à Gaïa qui sur son lit d’hôpital, lui avait murmuré, « Je te pardonne » quelques secondes avant de fermer les yeux pour la dernière fois afin de tutoyer l’éternité…

Lui, il ne s’était jamais pardonné sa lâcheté.


*

(suite)


J’ai résisté ce midi à l’envie de lui téléphoner. Cédrika m’a dit hier qu’elle allait visiter ses parents après son travail alors j’ai préféré la laisser tranquille et aller divaguer un peu avec mes écureuils qui sont en train de bousiller complètement mon système de classifi-cation. On dirait une immigration de masse alors que des centaines de nouveaux semblent avoir élu domicile dans le parc depuis hier. J’ai donc serré mon appareil photo en guise de protestation et je me suis étendu en plein milieu du terrain de soccer pour essayer de faire le vide. J’avais un urgent besoin de calibrer mes émotions. Je me suis alors mis à chanter à tue-tête et ça m’a fait un bien immense.

C’est fou de réaliser à quel point Cédrika me terrifie tout en m’attirant comme une molécule de métal se laisse aspirer dans le giron d’un aimant. On dirait même que ce paradoxe m’empêche d’être moi-même. Hier après-midi, j’ai parlé longtemps avec elle pendant qu’elle s’occupait de ses fleurs et j’ai espionné ses moindres gestes lorsqu’elle répondait à ses clients. Toutes ces constatations sont venues illustrer encore plus cette sensation de vulnérabilité que j’éprouve depuis sa rencontre, comme si je savais déjà qu’elle était en mesure de pulvériser tout ce que j’ai pu inventer comme chimères pour me protéger de l’intimité d’une femme. Je n’ai pourtant pas besoin de me sentir amoureux pour être qui je suis, mais devant elle, je n’y peux rien. Je suis victime de mes propres ressacs existentiels.

Je la connais pourtant si peu, mais du même coup, je suis certain de ne pas me tromper à son sujet.

Je viens de relire un passage de Vincourt qui m’a particulièrement touché cette nuit et je trouve qu’il représente très bien ce que je ressens.


« Il y a probablement des gens ainsi qui ont cette capacité silencieuse de se révéler à nous comme si des milliards de neurones, jusque-là inactifs, se synchronisaient un instant pour faire passer un message codé qui fait vibrer une âme qu’on avait toujours pressenti, sans jamais avoir la preuve qu’elle puisse exister.

Mais dans mon cas, d’autres milliards de neurones, plus cérébraux, ont tout de suite voulu revendi-quer leur ancienneté et ils ont fait en sorte que je me suis mis à douter qu’une telle sensation d’immortalité puisse perdurer. »


Ce paragraphe m’a foutu en l’air. Je crois qu’il serait peut-être préférable pour moi de continuer à lire plutôt que de vouloir tout expliquer.


« Cette femme a curieusement toujours réussi à illustrer des chemins que j’avais l’impression d’avoir parcourus auparavant. Je me suis alors mis à douter…

Était-ce possible que cette âme sœur que l’on cherche si avidement ne soit en fait qu’une quête d’un miroir pour justifier en partie nos peurs?

Que celle-ci ne fassent que sécuriser un peu plus le carcan de notre existence dans lequel nous avons l’impression de nous épanouir sans jamais oser changer?

Des questions bien insidieuses qui ont probable-ment influencé la suite de notre histoire, mais j’ai toutefois fini par comprendre que sa présence à mes côtés était surtout une manière de prendre la route et d’avancer avec elle au lieu de constam-ment regarder vers l’arrière.

J’ai maintenant la certitude que nous étions l’un pour l’autre des mathématiciens du temps qui savait user de leur science pour diviser et surtout rapprocher l’espace séparant l’avenir, du présent de nos souvenirs.»


*

(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

Evanescence (page 95 à 97)


« Eva-Nescencia Dryade, 135 rue Delescule. »

Cette lettre lui était bel et bien adressée et cette personne avait écrit son prénom complet plutôt que celui d’Eva que tous utilisaient.


(suite)


Elle était maintenant assise en position indienne sur le plancher de sa chambre et même si Pollux tentait par tous les moyens de lui soutirer un peu d’attention, Eva lut et relut la lettre à plusieurs reprises.

Mais qui pouvait bien lui avoir écrit de Moscou?

Le mystère restait total.

Elle se sentait toutefois transportée par la douceur des mots de ce mystérieux admirateur qui semblait épris d’elle. Sa tête travailla très fort pour essayer de mettre un nom sur ce Papillon. Elle chercha premièrement parmi ses connaissances afin de trouver quelqu’un qui aurait eu l’éloquence nécessaire pour écrire une si belle lettre et l’envoyer de si loin, mais aucun nom ne lui vint à l’esprit.

Surtout pas lui, pensa-t-elle… le seul nom surgit de son passé qu’elle cherchait tant bien que mal à oublier et qui ne cessait de meurtrir son coeur ...

Eva tenait maintenant la photo dans sa main et cherchait à élucider le mystère de cette photographie qui, selon l’écrivain anonyme, portait des signes qui l’unissaient à cette femme. Elles avaient la même couleur de yeux certes, mais rien d’autre de vraiment semblable pensa-t-elle. Il y avait tout de même quelque chose d’attirant et de bouleversant dans le visage de cette jeune femme russe. Eva remarqua tout d’abord l’éclat particulier de son sourire qui donnait l’impression qu’elle était très heureuse d’être prise en photo, tout le contraire d’elle alors qu’elle détestait se voir figé sur un papier glacé, mais le regard de la femme semblait aussi teinté de cette lourdeur d’existence que son propre père avait fuit très jeune pour venir immigrer en France. Eva se souvenait très bien des nombreuses photos qu’il avait conservé de sa vieille Russie et surtout toutes celles de sa mère à lui, sa grand-mère russe qu’elle n’avait jamais connue et dont quelque chose de similaire se trouvait dans le regard de cette femme. Elle ne trouvait toutefois rien de comparable dans son propre visage alors qu’elle s’observait en même temps dans un miroir afin d’analyser ses traits.

Elle déposa la photo par terre et relut encore une fois la lettre pour essayer d’y trouver un indice. C’est à ce moment qu’elle fut soudainement frappée par un détail auquel on l’avait sensibilisée lors d’un cours de dessin sur la morphologie du visage. Selon son professeur de l’époque, il était très difficile de bien dessiner le visage d’une personne, car on ne regardait jamais vraiment ce que l’on voyait; on se laissait plutôt influencer par notre propre connaissance et notre propre perception mentale d’un visage. Les élèves disait-il, avaient souvent la mauvaise habitude de se fier à leur inconscient qui leur dictait des lignes totalement différentes du modèle qu’ils avaient sous les yeux. Il leur avait donc conseillé de s’exercer à dessiner à partir d’une photographie placée à l’envers pour ainsi déjouer cet inconscient. L’idée avait alors paru très étrange à Eva, mais les résultats furent étonnants.

Cette pensée venait de lui traverser l’esprit au moment où elle regardait la photo à l’envers qui gisait sur le sol. Elle prit alors une de ses propres photographies qu’elle mit dans le même sens et fut totalement stupéfaite de découvrir à quel point la ressemblance de leurs yeux était maintenant évidente. La morphologie différente du visage de cette femme avait faussé sa première perception! Mais comment cet admirateur anonyme avait-il pu percevoir ce lien invisible qui les reliait maintenant si intensément ?

Eva resta estomaquée.

C’est sur ce doux vertige mystérieux qu’elle dut finalement partir travailler.


*

(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

mardi 10 août 2010

La part des ombres (96 à 99)


Ce matin-là, quand je me suis réveillé et que son sommeil l’avait emporté bien loin, j’ai pris sa main et je l’ai serré de toutes mes forces pour aller la rejoindre… Je n’ai toutefois pas eu le courage d’aller plus loin et je m’en veux très souvent de cette lâcheté car je me dis qu’à ce moment-là, il n’était peut-être pas trop tard pour la retrouver…

― Et vous croyez vraiment l’avoir perdu?


(suite)


*


Cédrika aurait bien aimé voir Gabriel cet après-midi-là. Elle aurait surtout aimé se laisser transporter par son éternel sourire et oublier tout le reste, mais celui-ci ne lui avait malheureusement laissé aucun message depuis la veille. Malgré la beauté du temps, elle sentait qu’une profonde tristesse venait d’imposer sa noirceur sur les si beaux moments qu’elle avait vécus depuis une semaine.

Elle avait bien tenté de se faire remplacer au kiosque, mais aucun des autres employés n’était disponible. Cédrika se présenta donc comme à l’habitude vers 16h00, espérant trouver un certain réconfort parmi les fleurs et surtout au près d’Octavio.

Celui-ci était déjà sur place et écrivait à l’ombre d’un tilleul. C’était la première fois qu’elle le voyait ainsi, complètement absorbé par autre chose que le regard de ceux et surtout celles à qui il offrait ses fleurs. Ce contemplateur de l’éphémère comme il aimait se présenter avait l’habitude de voyager très vite entre l’instant présent et tous les souvenirs auxquels il se rattachait, mais cette fois-ci, on sentait qu’il n’avait eu besoin d’aucun public pour le transporter là où il pouvait la retrouver.

Cédrika prit un instant pour observer cette si belle quiétude dans laquelle elle aurait voulu elle-même se trouver, puis elle s’approcha de son ami pour le saluer.

— Bonjour, dit-elle d’une petite voix ténue.

Elle eut alors la curieuse impression de voir un ange s’envoler. Octavio la regarda un moment sans lui répondre comme pour laisser le temps à ses propres yeux de s’habituer à cette trace lumineuse qui entourait la jeune femme et qui s’évapore lentement des êtres quand le soleil est trop aveuglant.

— Mais c’est ma jolie reine… Je suis tellement heureux de te voir… Comment vas-tu ma belle? Lui dit-il en se levant.

Il n’en fallut pas plus pour que la jeune femme se réfugie précipitamment dans les bras du poète. L’ombre de la douleur trouve souvent une manière bien à elle de vouloir se dissimuler au regard de ceux qui savent si bien la ressentir, et quoi de mieux qu’une épaule pour ainsi cacher son désarroi, et même parfois, s’en libérer un peu. Octavio la sera contre lui, puis il se mit à lui parler tout doucement, sans chercher à voir les yeux de la jeune femme qui se libéraient silencieusement de ce chagrin qui l’assaillait depuis la veille.

— Qu’est-ce qui se passe Cédrika?

Rien de grave j’espère…

La jeune femme se mit à rire tout en continuant de verser des larmes qu’elle tentait d’essuyer du revers de sa main.

— Excusez-moi! Vous allez encore me trouver ridicule avec ma sensibilité à fleur de peau… C’est ma mère, dit-elle en prenant une grande inspiration. Ses lèvres se mirent à trembler comme si les mots venaient à nouveau de se coincer sur celles-ci. Elle ne va pas bien, finit-elle par lui dire. Une grave maladie que les médecins ont heureusement diagnostiquée avant qu’il ne soit trop tard, mais ce combat ne sera pas du tout évident pour elle… Ils ne lui ont donné aucune garantie…

Octavio eut un violent pincement au coeur en entendant la nouvelle. De sombres souvenirs qui seraient toujours trop frais dans sa mémoire. Il reprit toutefois son souffle et poursuivit la discussion.

― Tu sais, la médecine fait des miracles de nos jours, mais c’est plus souvent qu’autrement en nous qu’on trouve la force de vaincre une maladie… Ta mère va avoir besoin de toi…

― Je sais… Elle m’a dit pratiquement la même chose au sujet de la médecine pour me réconforter, mais encore là, ce n’était pas moi qui devais être consolé, c’était elle… Je me suis tellement détesté hier soir alors que j’aurais dû être en mesure de l’aider et d’être là pour elle comme elle l’a toujours été pour moi et ma sœur… Je suis beaucoup trop émotive…

― On ne l’est jamais trop Cédrika… Et même si tu es incapable de saisir la forme que prend ta compassion, les autres le sentent et ça, c’est ce qui a de plus précieux pour ceux qui t’aiment…

― Moi aussi je l’aime… Je n’ai pas toujours été évidente avec elle et j’ai toujours été un peu plus proche de mon père… Disons que ma mère faisait souvent figure de tableau dans la maison, mais plus le temps avance, plus je réalise à quel point ce tableau était important pour nous tous… Nous sommes tellement pareil elle et moi… Je crois même que c’est la princi-pale raison qui fait en sorte que c’est toujours mon père qui s’est imposé dans ma vie… Comme si j’avais constamment eu besoin de le confronter tout en essayant d’être parfaite à ses yeux pour me prouver qu’il m’aimait alors que je n’ai jamais eu à douter de l’amour de ma mère… La jeune femme se calma peu à peu. Ma pauvre maman est bien seule avec sa maladie… Si vous saviez à quel point je pouvais ressentir sa peur hier quand elle m’a annoncé la nouvelle avec une sorte de rire nerveux dans la voix pour essayer de désamorcer le choc… Et le pire, c’est que c’est moi qu’elle a dû consoler ensuite comme une petite fille… Je n’ai pas arrêté de pleurer de la soirée et je n’ai surtout pas réussi à l’aider…

Octavio ne put s’empêcher de penser à Gaïa qui sur son lit d’hôpital, lui avait murmuré, « Je te pardonne » quelques secondes avant de fermer les yeux pour la dernière fois afin de tutoyer l’éternité…

Lui, il ne s’était jamais pardonné sa lâcheté.


(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!