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samedi 30 octobre 2010

Au revoir!


Alors voilà la fin qui est arrivée... Le blog va rester ouvert mais je ne crois pas y ajouter d'autre romans pour l'instant... Ceci sera donc le dernier mail envoyé directement sur votre courriel puisque le service avec Feedblitz...
Vous aurez toujours acces aux deux romans en venant visiter le blog directement


Pour des nouveautés, nouvelles ou simplement pour m'écrire un commentaire, vous pouvez aller visiter la page officielle de mes éditions


Au plaisir de vous lire :)

Ben


vendredi 29 octobre 2010

suite et fin du roman La part des ombres


Il se dirigea ensuite vers la sortie du cimetière, mais rendu devant la porte d’entrée, il glissa la photo qu’il venait tout juste de prendre sur la chaise vide du gardien.


(suite et fin du roman)


*


Cédrika observait du haut de sa fenêtre le ciel brumeux qui venait de prendre une couleur pourpre et qui semblait tomber vers le sol comme le voile d’une mariée. Il était près de huit du matin et la ville s’éveillait lentement dans ce brouillard printanier qui annonçait une autre belle journée.

La jeune femme n’avait pas fermé l’œil de la nuit et avait lu et relu le texte de Roméo et Juliette qu’elle allait interpréter pour la toute première fois dans quelques heures. C’est elle qui avait finalement été choisie pour incarner le rôle de Juliette et elle n’en n’avait parlé à personne d’autre qu’à sa meilleure amie. Les répétitions avaient finalement débuté au mois de janvier et c’est ce soir qu’avait lieu la première médiatique de la pièce.

Canaille la sortit de sa torpeur en sautant dans ses bras. Le ronronnement régulier du chat l’apaisa lentement et Cédrika sentit aussitôt une sensation d’apaisement en fermant les yeux. Elle dormit ainsi pendant près d’une heure, puis sursauta en entendant le klaxon d’une voiture. Prit de panique, elle se leva pour aller regarder l’heure et fut soulagée de voir qu’elle avait encore un peu de temps devant elle avant de partir pour la répétition générale de la pièce. Voulant se secouer un peu, elle décida d’aller courir au parc et de terminer son jogging en passant devant le café, espérant y trouver un nouveau message de Gabriel.

Rendue là-bas, elle fut tellement heureuse de voir une série de flèches qui avaient été dessinées sur le trottoir et qui la menait curieusement vers une boîte télépho-nique, qu’elle n’entra pas dans le café pour saluer Lori. Au pied de cette boîte, elle put lire un numéro de téléphone qu’elle ne connaissait pas du tout. Elle savait pourtant que ces flèches avaient bel et bien été dessinées par Gabriel puisqu’elle avait reconnu sa signature alors qu’à la fin des numéros, il avait glissé ses éternels trois petits points de suspensions qui étaient sa marque de commerce. Elle composa donc nerveusement le numéro, puis un répondeur s’enclencha. « Un journal vous a été livré ce matin et une invitation vous est lancée à la page trente-neuf. » C’était la voix de Gabriel et elle ne put s’empêcher de recomposer plusieurs fois le numéro pour l’entendre à nouveau.

Rendu chez elle, Cédrika trouva le journal dans sa boîte aux lettres et l’ouvrit précipitamment à la page indiquée. Collé en plein milieu de celle-ci, il y avait un billet pour assister à la première de Roméo et Juliette de même qu’un petit mot qu’il lui avait écrit « Puisque vous y serez déjà et que je n’aime pas aller seul au théâtre, je vous ai donc acheté un billet afin de partager avec vous ce bonheur de vous voir jouer pour la toute première fois. » Elle se mit aussitôt à pleurer, puis à rire devant cette si belle folie.


*


Il était près de midi lorsque le vieil homme se présenta à la résidence spécialisée où sa mère logeait. Frédéric miaulait toujours dans sa cage malgré toutes les tentatives qu’avait essayées le vieil homme pour le sortir de son état. Il passa rapidement devant le comptoir d’accueil où un préposé était occupé à expliquer à un patient malentendant qu’il devait maintenant aller manger et se dirigea directement vers la chambre de sa mère. Il croisa quelques personnes qu’il avait l’habitude de voir, saluant au passage un jeune trisomique à qui il distribuait régulièrement des photos. Celui-ci se mit alors à le suivre dans le corridor en balançant la tête de gauche à droite dans une sorte de négation qui semblait s’adresser à lui. Rendu tout près de la chambre, le jeune homme déposa sa main sur l’épaule du vieil homme et en se retournant vers lui, il put lire la détresse dans son regard d’enfant qui n’avait pas encore appris tout à fait à s’exprimer. Le choc fut terrible lorsqu’il entra dans la pièce et qu’il la trouva vide. Sa mère n’était pas là. Le poste de télévision non plus et on pouvait encore voir sur les murs les traces de toutes les photos qu’il avait collées afin de lui rappeler des parcelles de son histoire et qu’on venait de retirer. Le jeune trisomique se pencha vers le sol et se mit à parler au chat qui s’était soudainement calmé.

« Partie » lui dit-il à plusieurs reprises.

Le vieil homme se mit à trembler…

« Partie »

Il déposa doucement la cage au sol…

« Partie »

Puis son corps se coula contre la paroi du mur…

« Partie »

Son regard se fixa sur l’oreiller vide comme il l’avait si souvent fait sur celui de sa femme depuis son départ…

« Partie »

Et il eut un grand silence en lui…


Une infirmière entra alors dans la chambre et vit le vieil homme assit par terre en état de choc en compagnie de son chat et du jeune patient. Elle demanda aussitôt de l’aide et se pencha vers l’homme au visage aussi blanc qu’une orchidée. Une autre infirmière prit alors le bras du jeune trisomique pour le faire sortir de la pièce, mais celui-ci ne cessa de prononcer le mot «Partie » de plus en plus fort. Elle dut user d’une certaine force physique pour le faire sortir de la pièce, mais dans un mouvement vif, le jeune trisomique s’esquiva un instant et sortit de sa poche une image qu’il tendit vigoureusement vers le vieil homme. Celui-ci se tourna vers lui et il put clairement lire la douleur insondable dans son regard suppliant qui semblait n’attendre qu’un geste de sa part pour se libérer d’un secret beaucoup trop grand pour lui. Le vieil homme prit alors la photo dans sa main et il reconnut immédiatement cette image qu’il avait prit à bout de bras quelques semaines auparavant. On pouvait voir son propre visage et celui de sa mère qui souriait. Il lui avait offert cette photo afin qu’elle puisse se souvenir un peu de son fils malgré sa mémoire qui avait pratiquement disparu. Il n’avait pas revu cette image depuis, mais tout au bas de celle-ci, sa mère avait inscrit quelque chose. Le vieil homme se mit aussitôt à sangloter lorsqu’il lut son prénom…

Gabriel...


*


Octavio lisait le journal dans le square où une critique élogieuse était faite au sujet de la première de la pièce Roméo et Juliette qui avait eu lieu la veille. Il fumait sa pipe près de la fontaine lorsqu’il vit Cédrika arriver au kiosque aux fleurs en compagnie de Gabriel. La jeune femme était extraordinairement resplendissante. On aurait dit un ange qui perdait ses plumes à chaque mouvement pour mieux se libérer des contraintes de l’envol.

Il l’observa ainsi un long moment, relu une dernière fois les éloges qu’on avait faits à son sujet suite à sa performance, puis il déposa sur l’eau une orchidée qui se mit à flotter dans le bassin. Il se leva ensuite et regarda une dernière fois en direction du kiosque pour voir la jeune femme qui riait allègrement. Octavio savait qu’il n’oublierait pas ce rire de si tôt. Il inclina légèrement la tête en guise d’au revoir vers Cédrika qui ne l’avait pas vu, puis il marcha ensuite dans un sentier qui s’éloignait avant de complètement disparaître du champ de vision de cette fontaine qui quelque part, était un peu la sienne.

« C’est elle qui m’a fait découvrir un jour cet endroit de verdure en plein cœur du centre-ville. Gaïa adorait surtout la fontaine situé en plein milieu de ce parc où d’immenses chevaux de pierre se cabraient l’un autour de l’autre tout en expirant des jets d’eau suite à une hypothétique course effrénée. Nous terminions souvent nos prome-nades à cet endroit, surtout l’hiver, alors que la fontaine n’était plus qu’un amas de neige d’où jaillissaient des museaux de pierre. Il existait alors une sorte de plénitude qui cohabitait avec une puissante furie dans cette sculpture. Celle-ci illustrait magnifiquement la démesure qu’avait prit notre complicité au fil du temps. Je me souviens très bien d’avoir alors pensé que si tout devait avoir une fin, c’était ici le seul endroit que j’aurais voulu l’imaginer. »

Guillaume Vincourt


*


Le lendemain, le vieil homme se présenta au cimetière beaucoup plus tard qu’à son habitude. Il passa lentement devant le gardien et celui-ci remarqua qu’il tenait soigneusement une petite boîte de métal dans ses mains. Le gardien le salua et à sa grande surprise, le vieil homme répondit à son salut d’une manière presque courtoise. Celui-ci poursuivit ensuite son chemin vers la sépulture de sa femme. Ici et là poussaient les premières tulipes qui comme des vitraux dans une église, allaient bientôt rehausser d’éclats particuliers les allées du cimetière.

Lorsqu’il arriva devant la tombe de sa femme, le faux Chopin y était confortablement installé et se prélassait sous un croissant de soleil qui réchauffait le monument funéraire. Le chat tourna la tête vers lui et pour la première fois, il accepta que la main du vieil homme se pose un instant sur lui. Celui-ci déposa ensuite la boîte métallique qu’il transportait, puis il s’accroupit au pied du monument. Il sortit alors une truelle de la poche de son imperméable et commença à creuser un trou dans la terre compacte. C’est à ce moment qu’une voix le fit sursauter.

— Si ce n’est pas mon joueur d’échec préféré…

Le vieil homme resta abasourdi d’entendre cette voix.

— Mais qu’est-ce que vous faites ici?

— Bah… Je m’ennuyais un peu au parc et avec une si belle journée, j’ai eu le goût de faire une promenade… Comme j’adore la sérénité qu’on retrouve dans les cimetières, me voilà ici…

— Vous savez que vous êtes vraiment bizarre?

Octavio lui offrit son sourire en guise de réponse.

— Et vous, ce n’est pas un peu tôt dans la saison pour planter des fleurs?

Le vieil homme continua son travail sous les yeux de Chopin qui se laissait curieusement caresser la tête par cet inconnu.

— Vous avez besoin d’aide? Octavio n’attendit pas la réponse et à l’aide d’une branche solide, il se mit à sarcler le sol.

— J’ai toujours aimé l’odeur de la terre comme si elle m’offrait un bouquet de promesses…

C’est aussi là que tout s’arrête, lui dit le vieil homme d’un ton qui ne pouvait cacher sa douleur.

— Vous avez raison, mais c’est le cycle de la vie… Nous avons besoin d’eau pour vivre, mais j’ai toujours préféré la terre, car c’est d’elle que naissent les plantes et c’est grâce à elles si nous pouvons respirer…

— Bah… Pour ce que ça vaut… On passe toute notre vie à accumuler des souvenirs pour les voir lentement s’effacer et à la fin, il ne reste plus qu’une couche de noirceur où on croupit pour l’éternité…

Octavio prit une grande bouffé de sa pipe avant de répondre.

— Vous savez, la mémoire n’est que la partie tangible de ce qui a marqué votre existence… Mais l’âme est un champ probablement aussi vaste que celui des étoiles et même si la distance entre chacun de ses souvenirs est énorme, il n’en demeure pas moins qu’en regardant le ciel, on sait pertinemment que toutes ces étoiles ont déjà existé…

Le vieil homme garda la tête inclinée vers le sol, mais sa main s’arrêta un moment. Il pensa à la photo de sa mère et les larmes du ciel de ses souvenirs vinrent tomber comme des perséides dans le trou qu’il venait de creuser.

Octavio déposa sa main sur son épaule et resta muet devant cette silencieuse confession.

Le vieil homme prit alors l’urne et la déposa au fond. Il plongea ensuite sa main dans la poche de son imperméable et sortit la photo si lumineuse sur laquelle elle avait inscrit son prénom.

Il la tendit nonchalamment vers Octavio qui prit un moment pour bien la regarder. Le vieil homme offrit ensuite un dernier baisé à l’urne de la disparue, puis déposa la photo dans le même trou avant de ramener la terre qui forma désormais un léger monticule sous le poids de ses souvenirs.

Il prit une grande inspiration pour se secouer un peu puis tendit sa main vers Octavio pour le remercier de son support. Il s’approcha du faux Chopin et lui dit tout simplement, « Prends bien soin d’elles! » avant de quitter l’endroit d’un pas lourd.

Octavio regarda s’éloigner le vieux Gabriel qui tanguait comme un paquebot dans une tempête, mais il fut heureux de voir à quel point le temps s’était éclaircit depuis leur première rencontre. Il se retourna alors vers le chat qui n’avait toujours pas bougé et ses yeux se posèrent sur l’inscription qu’on avait gravée dans la pierre. Il put y lire « À la plus douce des âmes qui s’appelait Cédrika »

L’homme aux fleurs inclina légèrement la tête en guise d’au revoir puis déposa une orchidée blanche tout près du nom de la jeune femme qui ne l’était plus, avant de s’éclipser définitivement dans une allée dont il ne connaissait encore rien du chemin, mais où il pouvait désormais s’envoler.

(fin)


En espérant que Cédrika, Gabriel et Octavio (alias Guillaume Vincourt) aient su vous toucher comme ils l'ont fait à leur manière dans mon univers...


Benoit Clément

mercredi 27 octobre 2010

La part des ombres (180 à 186)


Les doigts d’Octavio s’agrippèrent un peu plus fermement à la main de Cédrika, puis lentement, il relâcha la pression comme si tout son être venait enfin de se libérer d’un poids qui l’avait tenu éveillé si longtemps.


(suite)


*


« Pendant près de trois ans, nous avons vécu ensemble dans une osmose peu commune. Trois années où chaque matin elle me laissait un message qu’elle écrivait avec un marqueur à paupières sur les fenêtres de mon commerce. Des messages qui résonnaient en moi comme de petites invitations à meubler son absence durant la journée que je passais en compagnie de ses plus grands amants.

Nous n’étions jamais bien loin l’un de l’autre. Elle, dans un minuscule laboratoire de l’autre côté de la ville où elle passait son temps à étudier le cerveau. Moi, dans ma librairie où je me laissais transporter par la lecture de bouquins qui avaient pris un sens particulier depuis sa rencontre.

Nous nous retrouvions chaque soir à un endroit différent pour donner une forme unique à ce quotidien que nous partagions désormais ensem-ble.

Ce matin-là, j’ai été touché par le message qu’elle m’avait laissé


« L’amour, même en ses plus humbles commencements, est un exemple frappant du peu qu’est la réalité pour nous. »


Elle avait signé :

Tendrement! Gaïa xxxx »


J’aime beaucoup ce passage du roman de Guillaume Vincourt. C’est un peu à cause de lui si j’ai décidé d’écrire chaque matin à Cédrika pour essayer de reprendre contact avec elle. Mais ai-je déjà perdu ce fameux contact malgré toute son absence?

On dirait que le temps qui passe me ramène inexora-blement vers elle comme si la fiction de mes pensées dépassait le seuil d’une réalité concrète qui va peut-être m’apparaître plus clairement dans quelques années. Peut-être suis-je en train de rendre encore plus admirable une personne que je connais très peu simplement pour le désir qu’elle puisse exister tel que je l’imagine comme Swan l’a fait si souvent et avec une dévotion totale dans l’œuvre de Proust. Je sens pourtant que toute cette histoire n’est pas qu’une simple utopie, mais depuis ma peine d’amour il y a quelques années, je ne sais plus toujours le vrai du faux quand il s’agit de mes liaisons. La fuite devient donc une excellente manière de conserver mes illusions et je l’ai fait souvent dans le passé tout en m’accrochant à des histoires tellement compliqués, qu’un jour, un de mes amis m’a dit que c’était peut-être une manière inconsciente que j’avais choisi afin de me protéger et de conserver intact le plus intense chapitre de ma vie. Je n’y ai pas cru et je lui ai alors répondu que son raisonnement ne tenait pas la route puisque si c’était le cas, je me serais plutôt mis à collectionner les histoires simples afin de sublimer la seule femme qui fut à la hauteur de mon besoin d’aimer tout en continuant d’être aimé. Il m’a alors gentiment tapé sur l’épaule en me disant que je venais justement de dire le mot-clé. Selon lui, on pouvait aisément me qualifier de junkie de l’amour. J’éprouvais effectivement assez souvent ce besoin viscéral qui me poussait vers des histoires d’une grande intensité en sachant toutefois que celles-ci n’allaient jamais permettre à une autre femme de pleinement exister dans ma vie. Je protégeais ainsi mon histoire tout en continuant de croire que l’amour absolu puisse exister sans par contre accepter le fait que je l’avais tout simplement perdu.

Peut-être avait-il raison dans le cas de plusieurs de mes relations éphémères qui ont jalonné mon existence après le départ de Lydie, mais dans le cas présent, c’est la première fois que je me sens déchiré par la certitude que Cédrika est en mesure de donné une nouvelle mélodie à mes élans. C’est elle la musique derrière toutes les images que j’aime prendre avec mon appareil photo et sans elle, la pellicule reste muette…


*


Le vieil homme fut réveillé très tôt le lendemain matin par les miaulements de Frédéric. Celui-ci tournait comme un lion en cage et malgré les tentatives de caresses de son maître, le chat ne cessa son éternel va-et-vient que lorsqu’il vit son maître se lever. Le bol d’eau était pourtant bien rempli et il restait encore assez de croquettes pour nourrir un boulimique en crise, mais le chat qui l’avait suivi jusque dans la cuisine se remit à miauler comme un bébé qui pleure dans les bras d’un inconnu, illustrant du même coup notre parfaite incompréhension devant leur langage mystérieux.

Le ciel avait la couleur délavée d’un vêtement blanc qu’on aurait nettoyé avec une paire de jeans. Le jour ne faisait que se lever, mais l’atmosphère était aussi lourd que l’état d’esprit du vieil homme qui avait encore une fois très peu et très mal dormi. Il prit Frédéric dans ses bras et le chat se mit instinctivement à ronronner, mais quelques secondes plus tard, celui-ci bondit en direction de la porte d’entrée sur laquelle il se frotta avec une fougue que le vieil homme ne lui avait encore jamais vu. Il alla même jusqu’à se faufiler à l’intérieur de la cage dans laquelle il voyageait lors des visites à la mère du vieil homme. Celui-ci fut surpris de voir son chat démontrer un tel enthousiasme.

— Mais qu’est-ce qui te prend ce matin?

Y’a pas le feu! Dit-il en enfilant son éternel imperméable.

Quand le vieil homme se présenta à l’entrée du cimetière quelques minutes plus tard. La grille en fer forgé était toujours close. Il frappa avec son talon contre les parois jusqu’à ce que le gardien ouvre un volet de sa demeure attenante à l’entrée.

— Ça vous arrive parfois de dormir? Dit-il en maugréant. Il est à peine 6h00 du matin…

— Je n’ai pas regardé l’heure… J’ai été réveillé par mon stupide chat… Frédéric se remit à miauler de plus bel.

— C’est bien parce que c’est vous…

Le gardien descendit et alla ouvrir la grille. Le vieil homme entra sans même le remercier et se dirigea aussitôt vers la sépulture de sa femme. On vit alors plusieurs chats se réfugier derrière les monuments en entendant le son plaintif de Frédéric qui était toujours enfermé dans sa cage. Le faux Chopin pour sa part était lourdement installé sur un des monuments et en voyant passé le vieil homme, il se mit à le suivre comme un goéland suit un bateau de pêche sans jamais le devancer. Rendu devant la tombe de sa femme, le vieil homme ouvrit la porte de la cage afin de libérer Frédéric, mais celui-ci n’osa pas sortir.

— Mais qu’est-ce que tu fais sac à puce?

Il ouvrit alors la canne de thon qu’il apportait toujours avec lui et fit tomber les miettes au pied du monument. Le faux Chopin accourra aussitôt, mais Frédéric, con-trairement à la veille, resta terré dans la cage ouverte. Le faux Chopin semblait pourtant l’avoir accepté sur son territoire, mais cette fois-ci, l’appel du poisson n’eut aucun effet sur le jeune chat qui miaulait à nouveau.

— Désolé de te réveiller si tôt ma belle… Mon foutu chat n’a pas cessé de se plaindre depuis l’aube… Si j’avais voulu me faire réveiller ainsi pour sortir, j’aurais suivi ma première idée et j’aurais adopté un chien… Tu l’entends? On dirait qu’il veut me faire comprendre quelque chose, mais quoi? Je ne suis qu’un photographe moi, pas vétérinaire…

Le vieil homme fit abstraction du chat et se mit à coller une série de photo sur le monument de sa femme. C’est à cet instant qu’il remarqua le gardien du cimetière en train de déposer quelques fleurs sur des tombes dont la pierre n’était plus qu’un amas de lichens. C’était la première fois qu’il le voyait ailleurs que dans son éternelle chaise où il passait des heures à écouter une station de nouvelles sur sa radio tout en s’appliquant à résoudre les énigmes des mots croisés du journal. En le voyant ainsi, il ne put s’empêcher de penser à sa femme qui avait fait ce même travail pendant bien des années. Le vieil homme prit alors son appareil photo pour mieux immortaliser ce moment.

— Tu sais que c’est grâce à toi si j’ai appris à ne jamais cesser d’être surpris, dit-il en regardant la photo instantanée qu’il venait de prendre et qui prenait lentement forme dans ses mains. Il glissa la photo dans sa poche et porta son index contre sa bouche avant de le déposer sur la pierre tombale comme on offre un silencieux baiser. Il se dirigea ensuite vers la sortie du cimetière, mais rendu devant la porte d’entrée, il glissa la photo qu’il venait tout juste de prendre sur la chaise vide du gardien.


*


(à suivre)

lundi 25 octobre 2010

La part des ombres (175 à 180)


— Vous savez qu’à chaque fois que je vous vois, je me mets à douter que la sagesse soit purement une question d’âge…

Octavio aspira sa pipe et laissa une longue traînée de souvenirs s’envoler vers le ciel.


(suite)


*


Un nouveau message fut laissé ce matin-là devant le café où Lori travaillait.

« Elle m’a alors avoué qu’elle m’avait souvent espionné de loin et qu’elle avait adoré me voir marcher dans la rue avec mon immense bouquin de Proust que je traînais désormais un peu partout comme un prêtre tient sa bible. C’était sa manière à elle de prendre du recul sur ses émotions m’a-t-elle dit, comme si elle n’était pas toujours en mesure de jouer au spectateur d’une pièce où elle était elle-même actrice.

Mon esprit cartésien aurait voulu comprendre le sens de sa fuite, mais à cet instant précis, après seulement quelques minutes de retrouvailles, un immense courant intérieur est venu sculpter nos deux corps réunis dans une immortelle œuvre d’art. »

Guillaume Vincourt.


La jeune femme resta muette devant cette image que Gabriel venait de lui écrire. Il lui avait très souvent lu des passages de ce roman qui semblait l’avoir marqué au point d’y relier leur propre histoire, mais Cédrika prit conscience pour la première fois de certaines similitudes qui la reliaient étrangement à cette femme. Elle aurait aimé se trouver devant Gabriel à ce moment et tout oublier dans ses bras. Oublier le poids de sa quête de perfection qu’elle transportait depuis si longtemps et se libérer un peu de son manque de confiance qui lui faisait craindre le jugement des autres, surtout de tous ceux qui avaient de l’important à ses yeux. Elle aurait voulu fuir cette noirceur pour retrouver la source malléable d’une lumière intérieure qu’il avait allumée en elle, mais dont elle était incapable d’accepter. Seul le soleil n’a pas d’ombre pensa-t-elle alors qu’elle rangeait précieuse-ment la petite feuille de papier dans un calepin que Gabriel lui avait offert quelques mois plus tôt.


*


« Un immense courant intérieur est venu sculpter nos deux corps réunis dans une immortelle œuvre d’art. »


Octavio se mit à trembler. Il fut incapable de contrôler sa main gauche dans laquelle il tenait un bouquet de marguerites qui tressaillait subtilement comme lors-qu’on offre des fleurs pour la première fois à une femme. Cédrika remarqua immédiatement le change-ment d’attitude chez son poète. Elle venait tout juste de lui lire le mot que lui avait laissé Gabriel et s’attendait comme d’habitude à voir son vieil ami discourir sur la prose du jeune homme, mais surtout lui donner un sens particulier, mais Octavio s’était plutôt réfugié dans un silence poignant.

Silence qu’il brisa en soupirant le prénom de « Gaïa. »

— Il faut parfois tout perdre avant de réaliser l’ampleur de ce qu’on nous a offert un jour…

Les yeux d’Octavio étaient maintenant fixés sur le bouquet qui venait de prendre une couleur que lui seul était en mesure de percevoir.

— Quand Gaïa est revenue, j’ai cru aux miracles pour la première fois de ma vie… Elle était tellement belle, là, tout juste devant moi et sa fragilité m’a alors fait penser à ces orchidées blanches sur lesquelles on peut percevoir des reflets mordorés selon l’angle que prend la lumière et selon le regard qu’on offre à cette fleur… Le visage de cette femme était lui aussi en constante mouvance, comme si chaque émotion laissait une trace particulière dans la pigmentation que prenaient sa peau et celle de ses yeux… J’étais complètement obnubilé et ma main est restée figée dans un battement de page incomplet de l’œuvre de Proust… Gaïa m’a alors souri comme la toute première fois où j’ai déposé une tasse d’expresso devant elle… C’était un sourire légèrement réservé qui ne savait cacher sa timidité comme une confession qu’elle m’offrait…

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi, mais c’est encore elle qui a permis à ma respiration de reprendre un rythme normal en expirant cette boule qui était restée coincée en moi depuis son départ… Nous n’avions pourtant passé qu’une seule nuit ensemble, mais Gaïa avait tout de suite su que plus rien ne serait comme avant et c’est dans cet élan qu’elle m’avait quitté pour mieux me fixer rendez-vous dans les impasses de sa destinée…

Après nos retrouvailles, j’ai très rarement dormi seul, et ce, pendant tout près de trois ans… Trois ans d’un bonheur inaltérable où les gens semblaient devoir cogner à une porte invisible avant de venir me parler en pleine rue… Trois ans qui m’apparaissent maintenant comme trois minutes sur le long échiquier de ma vie qui a suivi… Mais c’est trois ans, je ne les remplacerais pour rien au monde si ce n’est que pour me départir de cet instinct de sabotage qui s’était progressivement fait une place en moi pour culminer par cette journée sombre où tout a basculé…

Cédrika avait arrêté son travail pour mieux écouter Octavio qui lui parlait de Gaïa comme jamais il ne l’avait encore fait. Elle resta silencieuse comme un prêtre dans son confessionnal et laissa parler son ami qui avait repris son monologue comme s’il n’y avait plus rien d’autre que le visage de cette femme qui existait devant lui.

— Ce jour-là, je suis entré comme à tous les jours dans ma librairie et j’ai parti la machine à café avant d’installer les préludes de Chopin qui plaisaient tant à Gaïa… Je me sentais toutefois bizarre depuis quelque temps… En fait, depuis que Maude, sa meilleure amie, était entrée dans ma boutique…

Nous avions longuement discuté ensemble ce jour-là, nous découvrant une passion commune pour les mots de Erri de Luca, son auteur préféré… J’avais moi-même commencé à écrire à cette époque et cette femme le faisait depuis longtemps déjà… Elle avait publié un roman qui se trouvait dans mon magasin et qui avait connu un certain succès… J’ai donc été captivé par le rapport qu’elle entretenait avec l’écriture… J’avais déjà rencontré Maude à quelques reprises, mais ce jour-là, je me suis retrouvé plongé dans un marasme que j’avais connu pendant si longtemps, mais dont Gaïa m’avait peu à peu sorti… Je me suis identifié à cette jeune femme plutôt taciturne qui écrivait non pas pour réinventer le monde, mais plutôt pour s’illusionner consciemment de la petitesse du sien… Mon adoles-cence et ma vie de jeune adulte me furent projetées en plein visage comme seul un souvenir déchirant réussit à nous faire replonger… Nous étions deux éclopés dans le phare luminescent d’une femme qui était sa meilleure amie et pour moi, la seule que je puisse aimer…

Maude était par contre une très belle femme et elle savait user de son charme comme ceux qui savent choisir un vêtement non pas pour la beauté de celui-ci, mais plutôt pour la relation intime qu’il déploie avec leur corps… Je fus donc troublé ce matin-là quand elle est revenue supposément pour acheter un bouquin d’un nouvel auteur dont Gaïa lui avait parlé… Elle m’a alors suivi dans l’arrière-boutique et c’est là que tout a déboulé… J’ai senti son parfum légèrement fruité alors que je tendais le bras derrière elle pour saisir le livre en question… Elle s’est alors retournée vers moi, empri-sonnée partiellement par mon bras toujours tendu et sans savoir pourquoi, je lui ai murmuré cette phrase de Proust:

« L’amour, même en ses plus humbles commencements, est un exemple frappant du peu qu’est la réalité pour nous. »

Puis nous nous sommes embrassés…

Cédrika resta sans voix devant ce déchirant aveu. Elle ferma les yeux un instant pour laisser ses paupières se libérer d’une larme comme une feuille laisse silen-cieusement tomber une goutte de pluie sous le frémis-sement ténu du vent de toute son incompréhension.

Octavio poursuivit.

— Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai entendu la musique de Chopin et j’ai vu Gaïa dans le cadre de porte qui nous observait… J’ai alors instinctivement refermé mes paupières une fraction de seconde pour laisser le temps au mirage de se dissiper, mais seule la violence d’une porte qu’on venait de faire claquer est venue répondre à cette prière inconsciente qui allait devenir un instant plus tard, la plus amère des certitudes…

Octavio se mit à pleurer comme un enfant qui voit s’envoler le bouquet de ballon qu’on vient de lui offrir. Il porta inconsciemment sa tête blanche vers le ciel, espérant y déceler les lueurs de celle qu’il avait tant aimée.

La jeune femme s’approcha lentement de lui et déposa sa main dans celle du poète qui avait laissé tomber son bouquet de fleurs.

— Je suis certaine que vous allez un jour la retrouver…

Les doigts d’Octavio s’agrippèrent un peu plus fermement à la main de Cédrika, puis lentement, il relâcha la pression comme si tout son être venait enfin de se libérer d’un poids qui l’avait tenu éveillé si longtemps.


*


(à suivre)