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samedi 10 juillet 2010

La part des ombres (59 à 60)


« tomber dans la lune ». Le visage de sa femme pouvait effectivement être comparé à cet astre par son côté mystérieux et envoûtant, mais il redoutait cependant de plus en plus les parts d’ombre de sa mémoire, comme des éclipses lunaires de cette réalité qui n’existait plus qu’en lui.

*

(suite)

Lori ne reconnut pas le visage du jeune homme qui venait d’entrer dans le café. Il marchait avec une surprenante légèreté malgré ses vêtements mouillés et sa démarche particulière lui donnait un air sympathique. Elle se dirigea vers le bar alors que Cédrika dansait toujours en retrait tout en se laissant transporter les yeux fermés par le rythme incessant de la musique. Lori en profita pour diminuer un peu le volume et s’approcha de son client dont le visage ruisselait de pluie. Elle vit toutefois ses traits se figer comme une statue de cire lorsqu’il tourna la tête vers la table de billard où Cédrika dansait toujours. Celle-ci utilisait souvent l’endroit comme une piste de danse qui lui était réservée. Lori n’était donc plus surprise de voir ses clients s’extasier devant la beauté diffuse de cette jeune comédienne qui s’évadait d’elle-même dès qu’elle en avait la chance, mais tout comme son amie, elle aussi avait un immense besoin de plaire. Elle devait donc parfois user d’un décolleté révélateur pour garder l’attention de ses clients.

Sentant le volume de la musique diminuer, Cédrika se laissa choir dans un des divans qui juxtaposaient la table et se mit à chanter en faisant des chœurs d’une voix d’une étonnante pureté. Lori ne put s’empêcher de sourire en entendant la voix sublime de sa meilleure amie, puis elle se tourna à nouveau vers son client qui n’avait toujours pas bougé.

― Je vous offrirais bien une serviette pour vous essuyer, mais je n’ai qu’un vieux linge de vaisselle ou mon chandail, lui dit-elle en lui lançant un clin d’oeil. Je peux tout de même vous offrir de boire quelque chose de chaud…

Le jeune homme usa de toutes ses forces pour reprendre une certaine constance.

— Je crois que je vais prendre un chocolat chaud…

― J’ajoute de la crème chantilly?

― Ce serait génial… Il prit place au bar de manière à pouvoir regarder discrètement en direction du divan.

Cédrika s’y trouvait toujours et souriait comme si un ange s’était déposé un instant sur ses paupières closes. On la sentait emportée par la musique et c’est ce à quoi le jeune homme pensait en l’observant du coin de l’œil. Il aurait voulu lui aussi fermer les yeux et se laisser simplement transporter par le son de cette voix, mais c’est à ce moment que Lori arriva avec une tasse qu’elle déposa devant lui. Elle lui planqua alors un de ses sourires ravageurs dont elle seule connaissait le secret.

— Je peux vous voler une fleur? Dit-il timidement en regardant le bouquet qu’elle n’avait toujours pas eu le temps de glisser dans un vase.

La jeune femme fut charmée. Elle approcha le bouquet pour qu’il puisse en choisir une qu’elle croyait bien se faire offrir en guise de réponse à son sourire, mais elle fut doublement surprise lorsque celui-ci sortit un crayon de sa poche, griffonna quelques mots sur une serviette de table avant de se lever de son siège pour se diriger vers la table de billard.

Cédrika chantait toujours quand elle sentit une vague présence à ses côtés. C’est en ouvrant les yeux qu’elle vit le jeune homme s’éloigner. Il avait préalablement déposé un mot, puis une tasse devant elle dans laquelle flottait une orchidée mauve sur son lit de crème blanche.

*

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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Evanescence (page 59 à 61)


— Je n’ai pourtant pas changé… ou si peu… Je n’avais tout simplement jamais cru aux contes de fées…

***

(suite)

Mardi…

— Bonjour Jean! Regardez ce que j’ai reçu ce matin…

Eva lui tendit une carte postale qu’il prit aussitôt et lut immédiatement le bas de la carte pour y voir le nom de son correspondant. La carte était signée par un certain Madre.

— C’est ma mère qui m’écrit d’Espagne… Elle est en tournée avec sa troupe de théâtre… Vous avez déjà visité ce beau pays ?

Elle n’attendit même pas sa réponse qu’elle poursuivit dans son emportement.

C’est tellement joli là-bas avec tous ces petits villages, les Pyrénées et leur neige éternelle… C’est le seul endroit que j’ai eu la chance de visiter à part la France bien sûr, et c’est probablement de là que me vient une grande partie de mon engouement pour les voyages… Ma mère m’envoie des cartes postales comme celle-ci depuis que je suis toute petite… J’ai beaucoup voyagé à travers ses yeux et je me souviens encore des crises que je faisais quand elle devait nous quitter pour quelques semaines et que moi, je devais rester… C’est mon père qui devait alors subir mon caractère de princesse, dit-elle en riant.

Monsieur Coton l’écoutait attentivement. Il était toutefois soulagé de savoir que la carte provenait de la mère d’Eva et non d’un de ses admirateurs.

L’énergie de la jeune femme fut encore plus palpable qu’à l’habitude dans le restaurant. On aurait dit que toute la scène se déroulait dans un grand théâtre et que les autres clients faisaient eux-mêmes parti de la pièce. Il la regarda s’éloigner pour prendre la commande à une autre table et c’est à cet instant précis que le véritable tournant de sa vie s’effectua.

Il vit alors la chaîne du pendentif d’Eva-Nescencia se briser.

Tout se passa comme au ralenti. Il eut même l’impression d’avoir assisté à l’ultime fraction de seconde où les atomes de la chaîne s’étaient séparés les uns des autres, laissant le bijou se dérober du cou de la belle dame comme un animal à qui on vient de rendre la liberté.

C’est au sol que le pendentif se retrouva, bondissant tout près de lui. Monsieur Coton aurait aimé crier, mais la salle bruyante aurait empêché Eva d’entendre sa maigre voix qui avait figé son nom dans un appel silencieux. Elle continua sa route vers la cuisine avec le même entrain qu’il lui connaissait sans avoir remarqué que son précieux bijou venait de réclamer sa liberté.

« Il faut s’attendre à tout et surtout à l’inattendue » (L’angoisse du roi Salomon)

Monsieur Coton ramassa subtilement le pendentif de sa main gauche et le conserva un long moment dans sa paume comme le souffle d’une intime caresse. Il avait encore le poing serré quand Eva-Nescencia déposa le plat du jour devant lui. Monsieur Coton fit un mouvement vers elle pour lui tendre la main, mais Eva n’aperçut même pas le geste de son client. Elle était déjà repartie vers une autre table, ne laissant qu’un soupir dans la main fermée du comptable.

Monsieur Coton resta momifié sur sa chaise, son cerveau n’était plus qu’une suite d’équations transcen-dantales dont il ne trouvait pas la solution.

Revenant peu à peu à lui, il mit la main à la poche de sa veste et y déposa le précieux pendentif.

Monsieur Coton mangea très peu ce midi-là, son esprit semblait totalement absorbé par tout ce qui venait de se produire un peu plus tôt. C’est d’un timide au revoir qu’il se dirigea vers la porte avec au fond de sa poche, le fameux pendentif d’Eva-Nescencia. Celle-ci lui offrit un magnifique sourire avant qu’il ne quitte l’endroit.


(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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vendredi 9 juillet 2010

Evanescence (page 56 à 58)


Une vieille dame aux yeux trop fatigués pour pleurer se leva et s’approcha discrètement de lui. Il sentit son souffle acre contre sa joue lorsqu’elle se pencha vers lui afin de l’embrasser comme une mère embrasse son enfant. Un lent sourire d’étonnement se dessina sur le visage du lecteur. Monsieur Coton la regarda s’éloigner en pensant que pour une fois, il avait probablement été utile à quelqu’un et d’une manière beaucoup plus humaine qu’avec les chiffres. À cet instant, il eut la certitude qu’il n’avait qu’une seule solution afin de dominer ses peurs : essayer de rendre les autres heureux autour de lui.


***

(suite)


Lundi…

« Le problème avec les fleurs, c’est que pour attirer notre attention, elles se doivent de revêtir leurs plus belles couleurs et exhaler leur divin parfum, mais encore plus grave, c’est qu’elles ont à rivaliser avec le charme de celle qui les reçoit. Dans ce cas-ci, malgré l’intensité déployée du jaune et du bleu, elles ne peuvent espérer qu’être illuminées par vous tel un caméléon déposé entre vos doigts. »

Monsieur Coton déchire encore une fois ce mot qu’il tente désespérément d’écrire à Eva.

Ce matin, il est passé chez le fleuriste et il a acheté un petit bouquet de jonquilles et de lys pour accompagner le livre qu’il veut lui remettre. Il aimerait trouver les mots justes, les mots qui comme son prénom, ne pourraient convenir qu’à elle. Il se sent toutefois incapable d’exprimer si clairement le trouble qu’elle exerce sur lui. Il choisit donc de simplement lui offrir ces fleurs à la fin du repas en prétextant une quelconque vente à rabais chez le fleuriste pour la remercier de son livre.

— Oh…comme s’est gentil! Si tous mes clients étaient comme vous, je serais la plus choyée des femmes de Paris…

Eva venait de porter le bouquet à la hauteur de son visage afin de mieux se délecter de ce si doux parfum.

Vous savez, c’est la première fois qu’on m’offre des fleurs…

Vous rigolez j’espère! Une jeune femme telle que vous ne peut qu’avoir des dizaines de soupirants…

Eva ne répondit pas… Elle ferma les yeux pour essayer de contenir ses larmes qui déjà, s’écoulaient le long de son visage.

Devant cette soudaine tristesse, Monsieur Coton s’excusa d’avoir éveillé de mauvais souvenirs. Il aurait aimé toutefois être la raison de ces larmes et non en être la cause.

— Je suis désolée dit-elle. Disons que j’ai laissé une part importante de mon passé dans une petite ville du sud de la France et que vos paroles n’ont été que la goutte qui a fait déborder le vase d’une journée un peu trop nostalgique à mon goût…

Eva secoua la tête, prit une grande respiration et lentement, redessina un sourire sur son visage. Elle le remercia encore pour les fleurs en lui faisant la bise avant qu’il ne quitte le restaurant pour retourner à son travail.

À sa sortie du restaurant, Monsieur Coton se sentait désemparé devant la tristesse de la jeune femme, mais du même coup, il fut transporté par sa propre audace. S’il avait été incapable de lui donner le mot qu’il avait écrit pour elle, il avait tout de même trouvé le courage de lui acheter des fleurs et il était surtout le premier à lui avoir offert un tel présent. Cette pensée fut tellement réjouissante qu’il se présenta chez Madame Bataclan avec un dynamisme qu’elle ne lui avait encore jamais connu. Surprise, elle lui demanda le secret de cette soudaine métamorphose.

— Je n’ai pourtant pas changé… ou si peu… Je n’avais tout simplement jamais cru aux contes de fées…

***

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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La part des ombres (56 à 58)


« On offre souvent ce qui a de plus beau et de plus pure en nous quand on est confronté au souvenir de ce qui, l’espace d’un instant, nous a rendu le plus près de nous-même » lui avait un jour dit Octavio. Elle pensa donc à toutes ces fleurs, s’abreuvant d’un passé pourtant si près, mais qui pour elles, représentaient déjà le côté infini du moment où le couperet de leur existence s’était abattu pour les séparer de cette source de vie.

(suite)

Cédrika profita de ce congé forcé pour faire un saut au café où Lori travaillait et lui apporter un bouquet, histoire de lui montrer qu’elle ne lui en voulait pas pour les événements de la veille.

— Dis donc, c’est triste à mourir ici! Lui dit-elle en entrant par surprise dans le commerce. Le visage de Lori s’illumina instantanément. Le café était vide, mais une lancinante musique techno faisait vibrer l’air d’une sourde pulsation cardiaque.
― Bella! Je suis tellement heureuse de te voir… Mais qu’est-ce que tu fais ici à cette heure?
― J’avais des fleurs à livrer, dit-elle avec une touche d’espièglerie en lui montrant le bouquet qu’elle lui avait apporté. Lori eut toute la difficulté à contenir ses larmes.
― Je ne mérite tellement pas ta gentillesse… C’est moi qui devrais t’offrir des fleurs… Si tu savais à quel point je suis désolé pour hier… Je croyais bien faire, mais comme d’habitude, j’ai gaffé…
― C’est pourtant moi la gaffeuse généralement… Tu me connais…
Les deux jeunes femmes s’étreignirent mutuellement.
― Je m’installe où? Lui dit Cédrika en la taquinant.
― Nous sommes complets en ce moment, mais pour une femme si belle, je suis certain qu’un charmant jeune homme acceptera de partager sa table en votre compagnie…
Cédrika lui lança une pille de sous-verre qui traînait sur le bar en guise de fausse modestie. Elle prit ensuite un crayon et griffonna un mot sur un bout de papier. « Tu m’emmerdes! » Lori en profita pour augmenter le volume de la musique et les deux jeunes femmes se mirent à danser avec emportement en rigolant. C’est à ce moment que la porte du café s’entrouvrit.

*

Il était encore très tôt lorsque le vieil homme décida d’aller se coucher. Sa journée avait pourtant bien commencé en compagnie du poète avec qui il avait longuement joué aux échecs, mais le gris du ciel s’était progressivement fait une place dans son esprit et il n’avait pu échapper à la confusion que créait toujours son retour à la maison dans le vide des pièces que sa femme avait tellement meublé.
Étendu dans son lit, il écouta pendant un long moment la pluie qui tombait sur le toit, puis sans aucune préméditation, son bras se posa sur l’oreiller vide à ses côtés. Ses doigts se mirent à tambouriner comme s’il jouait du piano sur une tête imaginaire. Geste qui s’était imprégné en lui comme chez ceux qui continuent à ressentir un membre longtemps après se l’être fait amputer.
Le vieil homme observait maintenant ses doigts bouger d’un regard qui s’éloignait de lui pour se rapprocher d’elle. L’image de sa femme se formait alors avec une précision qu’il avait éprouvée aux premiers jours de leur rencontre, mais il avait de plus en plus besoin d’éléments déclencheurs pour que la perfection de ses traits jaillisse de ses pensées. Il ressentait alors à nouveau cette complicité qui les avait unis si longtemps, mais du même coup, une ombre s’immisçait en lui quand il cherchait volontairement à se souvenir. Sa vieille mémoire lui ramenait encore facilement les parcelles de vie qu’ils avaient partagées, mais leur couleur n’était jamais aussi flamboyante que lorsqu’il plongeait dans un état quasi onirique qu’on appelle communément « tomber dans la lune ». Le visage de sa femme pouvait effectivement être comparé à cet astre par son côté mystérieux et envoûtant, mais il redoutait cependant de plus en plus les parts d’ombre de sa mémoire, comme des éclipses lunaires de cette réalité qui n’existait plus qu’en lui.

*
(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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jeudi 8 juillet 2010

La part des ombres (53 à 55)


Elle chuchota un merci à Octavio et plongea délicatement sa main dans un sceau pour en sortir une branche d’orchidées qu’elle contempla en écoutant tomber la pluie. Elle ne savait pas encore que l’image de cette fleur resterait gravée en elle toute sa vie, mais à ce moment, une vague de chaleur parcourut ses veines.

*

(suite)


Il pleut cet après-midi, mais malgré toute cette pluie, je suis incapable de quitter le parc. Il n’y a pratique-ment personne qui est passé par ici. Même les écureuils ont préféré rester au sec. J’ai seulement vu Spif, un des plus gourmands, qui est descendu d’un peuplier où il semble avoir construit sa tanière, mais il s’est bien vite ravisé et je ne l’ai plus revu ensuite. J’aurais dû moi-même en profiter pour aller à la bibliothèque et essayer d’avancer ma thèse, mais la rationalité n’a jamais été le point fort de ma personnalité. Je suis donc revenu ici, sur le même banc qu’hier et j’attends comme un pelleteur de nuages qui espère voir réapparaître la lumière. J’ai alors pensé à cette citation de Proust qui aurait dû me convaincre de quitter, mais j’ai préféré rester un peu. « Le moment était peut-être particulièrement bien choisi pour renoncer à une femme à qui aucune souffrance bien récente et bien vive ne m'obligeait de demander ce baume contre un mal, que possèdent celles qui l'ont causé. »

J’adore Proust, mais j’ai tout de même décidé d’attendre. Je garde espoir de la recroiser en me disant qu’une illusion résiste parfois au temps qui passe.

J’ai donc repris ma lecture du roman de Guillaume Vincourt sous mon parapluie et je suis tombé sur un passage qui fait en sorte que je suis encore ici en ce moment.

« J’ai alors compris que le scintillement de l’or au fond du tamis de ceux qui avaient un jour tout quitté pour venir loin dans l’Ouest américain, n’était qu’une fraction de ce rêve qui les poussait inlassablement à plonger cet instrument de fortune dans le fond d’une rivière. Cette longue litanie de gestes n’était en fait que l’ultime espoir de donner un sens à leur existence.

J’ai éprouvé cette même sensation lorsque cette femme a croisé le tamis de mon regard pour la première fois. »

*

Cédrika fut libérée plus vite qu’à l’habitude de son travail. La pluie n’avait pas cessé de la journée et le propriétaire de la boutique l’avait appelé pour lui donner carte blanche sur l’heure de fermeture. Elle décida donc de quitter plus tôt voyant que personne ne venait acheter des fleurs et histoire aussi de laisser à celles-ci, la chance de profiter un peu de ce lointain appel de la pluie en silence. Elle aimait imaginer que cette musique pouvait les plonger dans une sorte de nostalgie qui allait rehausser leur beauté. « On offre souvent ce qui a de plus beau et de plus pure en nous quand on est confronté au souvenir de ce qui, l’espace d’un instant, nous a rendu le plus près de nous-même » lui avait un jour dit Octavio. Elle pensa donc à toutes ces fleurs, s’abreuvant d’un passé pourtant si près, mais qui pour elles, représentait déjà le côté infini du moment où le couperet de leur existence s’était abattu pour les séparer de cette source de vie.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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Evanescence (page 54 à 56)


Monsieur Coton quitta le restaurant, transporté par une puissante sensation de bien-être qui le porta jusqu’au libraire du coin. Il voulait y acheter une copie neuve de « L’angoisse du roi Salomon » pour en faire la lecture à Chopin le lendemain. Il espérait ainsi qu’Eva allait accepter cette nouvelle copie pour qu’il puisse conserver l’exemplaire qu’elle avait bercé dans ses mains et qui l’avait tant ému.

***

(suite)

Dimanche…

Malgré la splendeur du temps, Monsieur Coton décida de ne pas faire sa tournée hebdomadaire des bouqui-nistes ce jour-là et il se dirigea plutôt directement sur le chemin de l’avenue Philippe Auguste à partir de la place de la Nation pour se rendre jusqu’au père Lachaise.

Monsieur Coton a toujours eu l’habitude de prendre ce chemin pour retourner chez lui, et puisqu’il préfère marcher du côté droit de la rue, son attention s’est toujours portée sur les commerces qui longent ce côté de l’avenue. Il se sentit donc totalement dépaysé par son nouvel itinéraire, mais il apprécia le spectacle.

Arrivé au cimetière, il se dirigea aussitôt vers la sépulture de Chopin où il retrouva son jeune chat, puis après lui avoir servit son repas, il débuta sa lecture à haute voix qu’un vent venait disperser à travers les feuilles desséchées du mois d’octobre qui embaumait les lieux de leur parfum particulier.

Cette troisième lecture sembla le troubler davantage, comme s’il prenait encore plus conscience de la portée du livre et de ses probables conséquences sur lui.

Sa voix se brisa même lorsqu’il arriva à une phrase troublante qui l’avait tant inspiré précédemment…

« On est toujours plus vieux qu’on ne le croit, mais aussi plus jeune qu’on ne le pense. »

(L’angoisse du roi Salomon)

Monsieur Coton laissa rouler une larme sur sa joue. Il se sentit plonger au cœur même d’un puissant paradoxe entre la peur qu’il ressentait d’accepter cette sensibilité naissante et l’espoir fou qu’il nourrissait sur le baume qu’Eva-Nescencia venait de déposer sur l’immense plaie qu’était devenue sa vie. Il releva la tête, toujours absorbé par l’intensité de cette troublante histoire, et c’est alors qu’il remarqua les quelques personnes qui s’étaient assises près de lui et qui l’écoutaient en silence dans une sorte de recueillement. Même Chopin, le chat, était resté confortablement installé à ses côtés et semblait profiter des dernières caresses du soleil tout en lui prêtant l’oreille.

Une vieille dame aux yeux trop fatigués pour pleurer se leva et s’approcha discrètement de lui. Il sentit son souffle acre contre sa joue lorsqu’elle se pencha vers lui afin de l’embrasser comme une mère embrasse son enfant. Un lent sourire d’étonnement se dessina sur le visage du lecteur. Monsieur Coton la regarda s’éloigner en pensant que pour une fois, il avait probablement été utile à quelqu’un et d’une manière beaucoup plus humaine qu’avec les chiffres. À cet instant, il eut la certitude qu’il n’avait qu’une seule solution afin de dominer ses peurs : essayer de rendre les autres heureux autour de lui.

***


(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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mercredi 7 juillet 2010

Evanescence (page 51 à 54)


Samedi…

Il est 7h30 du matin. La main de Monsieur Coton est toujours déposée sur la cloche de son réveil. Il reste là, sans bouger, frappé d’une soudaine stupeur.
Son regard se pose sur les différents aspects arides de sa chambre comme s’il les voyait pour la première fois. Il tente vainement de retomber dans la neutralité d’esprit de jadis, mais en vain. — La capacité de perception et d’analyse de l’être humain dépasse largement ses pouvoirs. Ce qui fait en sorte que certaines choses qu’on a prises toute une vie à bâtir peuvent parfois s’effondrer comme des châteaux de cartes en un seul instant. —

Monsieur Coton se lève finalement et cherche à se concentrer sur chacun des gestes répétitifs qu’il a l’habitude de faire le matin. Il croit pouvoir ainsi replonger dans sa routine, mais il réalise rapidement l’incongruité de la chose. C’est en analysant chacun de ses gestes avec minutie qu’il constate le côté étrange de plusieurs d’entre eux; celui de faire griller son pain uniquement d’un côté, ou de se verser un verre de jus d’orange sans pulpe à travers un tamis au cas ou…

Comme chaque matin avant de quitter, il se contemple dans la glace, mais cette fois-ci, il reste amer devant le reflet de son image décharnée. Monsieur Coton se sent plus vieux qu’à l’habitude et déteste pour la première fois la coupe de son complet gris qui tombe sur ses épaules comme un linge mouillé sur sa corde. Il tente vainement de gonfler sa poitrine et de s’envoyer son plus beau sourire, mais il ne reçoit que l’image d’un homme profondément perturbé.

— Bonjour Jean! Eva-Nescencia était resplendissante comme à son habitude.
— Bonjour Mademoiselle Eva, vous travaillez encore aujourd’hui… Vous n’avez donc jamais de congés? dit-il d’une voix qu’il tentait faussement de rendre désintéressée.
— Non, pas de vacances pour moi… Je vis à Paris depuis peu et le coût de la vie est terrible ici… Je dois donc travailler le plus d’heures possibles…
Monsieur Coton c’était installé à sa table, mais il avait choisi de s’asseoir pour la première fois sur la chaise du côté gauche qui allait lui permettre de contempler beaucoup plus facilement les allées et venues de la jeune femme.
Alors qu’Eva déposait une quiche lorraine devant lui, Monsieur Coton observa discrètement le pendentif qu’elle portait à son cou. Il put très bien distinguer le petit coffre argenté de forme ovale, sculpté de motifs anciens et finement attaché à une chaîne d’or, mais sa timidité fit en sorte qu’il n’osa pas porter son regard directement sur le cou de la jeune femme. Il avait remarqué le bijou dès leur première rencontre, mais n’avait encore jamais osé lui en parler.
— Vous savez Eva-Nescencia que ce pendentif vous va très bien…
Monsieur Coton regarda timidement le triangle que formait le bijou à son cou, donnant la touche finale à cette œuvre qu’il avait sous les yeux comme une cadence parfaite déposée sur une symphonie de cristal.
Elle approcha son visage du sien et lui chuchota :
— Ne le dites à personne, mais ce bijou fait partie d’un trésor… et pas n’importe lequel, celui de Rakam le rouge…
L’éclat de son rire fut contagieux et Monsieur Coton se surprit lui-même à rire de vive voix et non pas à sourire timidement comme à son habitude.
— En fait, ce bijou est un véritable trésor à lui seul… Il a d’abord été offert par mon arrière-arrière-grand-père russe à sa femme, avant même le règne de Lénine et de sa Révolution… Depuis, il passe de génération en génération et c’est mon papa qui l’a reçu à la mort de sa mère puisqu’il était enfant unique… Il me l’a offert pour mon dix-huitième anniversaire et je ne m’en suis jamais séparé depuis… Je sens une sorte d’apaisement en me disant qu’il garde probablement les vestiges de tous ceux qui l’ont porté avant moi, ceux à qui je dois ma présence ici sur terre… Vous allez me trouver ridicule, mais c’est un peu comme mon ange gardien…
Eva porta la main à son cou et prit doucement le pendentif entre ses doigts. Leur regard se croisa l’espace d’un moment.
Monsieur Coton ne put la quitter des yeux. Il était totalement obnubilé par la fragilité de cette jeune femme à cet instant et par le fait qu’elle venait de partager un de ses secrets avec lui.
— Il est magnifique! dit-il d’une voix qui ne pouvait que trahir son emportement.
Il aurait aimé figer cette parcelle d’éternité non pas comme un simple souvenir en lui, mais plutôt comme le chef-d’œuvre d’un peintre qui venait de réussir l’exploit d’ajouter une âme à son tableau.
Monsieur Coton quitta le restaurant, transporté par une puissante sensation de bien-être qui le porta jusqu’au libraire du coin. Il voulait y acheter une copie neuve de « L’angoisse du roi Salomon » pour en faire la lecture à Chopin le lendemain. Il espérait ainsi qu’Eva allait accepter cette nouvelle copie pour qu’il puisse conserver l’exemplaire qu’elle avait bercé dans ses mains et qui l’avait tant ému.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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La part des ombres (changement de titre) (50 à 53)


Les deux hommes passèrent le reste de la matinée à jouer comme deux gamins, se découvrant une passion commune.

*

(suite)
― Mais où est passée cette si belle lumière qui t’entourait hier?
Cédrika tenta vainement de sourire à Octavio qui était assis tout près de l’entrée du cabanon en fumant sa pipe. Le temps s’était lentement dégradé et une pluie fine se laissait maintenant balayer par un vent qui rendait les conditions extérieures inconfortables, mais l’homme aux fleurs était là, habillé d’un imperméable jaune qui lui donnait l’allure d’un vieux capitaine de bateau.
— Je ne croyais pas que tu allais ouvrir par ce temps, lui dit-il.
― Ce n’est pas moi qui décide, mais de toute manière, ça me fait du bien d’être sorti un peu de chez moi… Et vous, que faites-vous dehors par cette pluie?
― Rien de spécial… J’observais les gens… C’est drôle de voir à quel point ils deviennent pressés quand il pleut… Mais toi, ça va?
Tu sembles préoccupée…
— Bah! Rien de grave… C’est probablement la température…
― Si tu le dis… Mais il y a passablement plus de gris dans tes yeux que dans le ciel, alors si tu veux épurer un peu ton esprit, tu sais que je suis là…
La jeune femme le regarda avec bienveillance. Elle entra dans le kiosque un instant pour déposer ses choses, mais sortit aussitôt sa tête du cadre de porte pour poursuivre la conversation.
― Est-ce que vous percevez toujours aussi bien les états d’âme des autres, ou c’est simplement moi qui suis trop transparente?
― Un peu des deux, mais dans ton cas, disons que l’immensité de tes yeux cache très mal le désarroi provoqué par toutes les questions qui y gravitent… C’est aussi ce qui rend ton visage si mystérieux… Certains sont de grands livres ouverts, mais dans ton cas, on parle probablement d’une encyclopédie en plusieurs tomes…
Cédrika esquissa un semblant de sourire.
— Disons que la journée d’hier était si belle que j’aurais dû m’endormir avant qu’elle ne finisse ainsi…
― Et ce « ainsi » ressemble à quoi si ce n’est pas trop indiscret?
Elle prit quelques instants avant de répondre.
― Encore les hommes… Tout est de votre faute, dit-elle en riant. Vous êtes incapable d’user réellement de démesure sauf quand il s’agit de vos instincts sexuels, mais la vraie démesure, celle qui nous pousse à modifier le réel, celle qui peut nous faire pleurer de rire comme de tristesse, celle qui donne l’élan à tout le reste, est-ce possible de la trouver chez un homme?
Octavio ne put s’empêcher de sourire.
― Ne suis-je pas le parfait exemple de ce que tu viens de décrire?
Cédrika balaya l’air de sa main en soupirant faussement devant la prétention de son poète.
─ Mais sérieusement ma belle, tu sais que je m’identifie très souvent à ta quête d’existence et à ton besoin d’être différente des autres car j’étais pareil dans ma jeunesse, mais il ne faut jamais oublier qu’à vouloir trop sublimer la fleur, on finit par dessécher la plante qui la fait grandir et on se trouve alors bien seul avec toutes nos questions… Tu sais que j’ai longtemps eu peur de la solitude et à une certaine époque de ma vie, j’ai peuplé la mienne de bien des gens, mais du même coup, je me sentais incapable d’accepter ce que je jugeais comme étant de l’étroitesse d’esprit de leur part pour vraiment m’investir dans quelque chose de durable avec eux… J’avais une soif intarissable d’absolue et ce bouillonnement intérieur me rendait je crois un peu arrogant envers les autres… J’ai donc fini par me retrouver seul avec mes chimères à travailler dans une librairie peuplée par les fantômes de tous les bouquins que je lisais… C’est à ce moment que j’ai rencontré Gaïa… Cette femme possédait quelque chose que je n’avais encore jamais compris… Elle avait cette force intérieure qui m’apparaissait comme une puissante flamme, mais la sienne était bien différente des feux de mon esprit qui se consumaient rapidement afin de toujours aller voir ailleurs… Gaïa possédait plutôt le secret de conserver les braises de tout ce qui l’avait enflammé la veille… Alors que je cherchais le changement partout où j’allais pour essayer de mieux exister, elle incarnait plutôt le changement aux choses en prenant le temps de bien les observer et de voir cette infime différence qui m’échappait à tout coup dans ma course… J’ai alors fini par comprendre que mon besoin d’exaltation du départ s’était lentement transformé en inaction et que c’était une bien drôle de manière de refuser d’être celui que j’étais…
La jeune femme resta sans mots. Elle aurait bien voulu continuer à exprimer sa frustration, mais le gris de ses yeux venait de se teinter de questions encore plus déroutantes que celles qui jusque-là, avaient influencé sa journée. Elle chuchota un merci à Octavio et plongea délicatement sa main dans un sceau pour en sortir une branche d’orchidées qu’elle contempla en écoutant tomber la pluie. Elle ne savait pas encore que l’image de cette fleur resterait gravée en elle toute sa vie, mais à ce moment, une vague de chaleur parcourut ses veines.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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mardi 6 juillet 2010

La part des ombres (changement de titre) (46 à 49)


Le vieil homme regarda son roi, bien posé en E1 puis la reine de sa femme et il sut que ce n’était qu’une question de temps pour le voir plier l’échine, il prit alors la pièce dans ses mains et décida qu’il était maintenant temps de couronner la sépulture de sa reine avec le seul roi qu’elle n’avait jamais fait tomber.

*

(suite)
Il était prêt de 11h00 du matin quand le vieil homme revint faire un tour au square du centre-ville. Octavio était là, un livre dans la main et il lisait à haute voix, faisant sourire les passants qui n’avait pas l’habitude d’une telle désinvolture.
Le vieil homme était préalablement passé par le cimetière où il avait déposé son roi sur le tombeau de sa femme. Il fut donc abasourdi lorsqu’il vit le poète le saluer de loin tout en s’empressant de sortir un jeu d’échec de son sac en lui faisant des signes de la main.

― Comment allez-vous Monsieur Chrysanthème?
Très heureux de vous revoir… Je suis certain que vous savez jouer aux échecs et j’ai justement besoin d’un partenaire… Les gens oublient un peu les fleurs quand le temps est gris, j’ai donc tout mon temps… Venez ici près de cette table, nous serons un peu en retrait pour vos allergies, lui dit-il en laissant sa chaise et ses bouquets loin derrière. Vous avez vu les résultats sportifs ce matin ou je vous en fais le résumé…
Le vieil homme fut incapable de parler. Il aurait voulu fuir, mais il semblait hypnotisé par les mains agiles d’Octavio qui déposaient déjà chacun des pions sur l’échiquier sans même les regarder. Toutes les pièces étaient maintenant placées sauf la reine blanche qui trônait toujours au milieu du jeu.
— Il ne faut jamais toucher la Reine de son adversaire, dit-il. C’est sa plus grande force, mais aussi sa plus grande faiblesse…
― Je ne sais pas jouer, lui dit le vieil homme d’une voix qui ne pouvait cacher son émoi.
― Ce n’est pas très compliqué… Je peux vous montrer si vous le voulez… Octavio ne laissa pas le temps à son adversaire de répondre qu’il enchaînât avec ses explications. C’est un jeu merveilleux qui est une sorte de représentation de notre système politique actuel…
Le vieil homme qui était toujours paralysé ne sembla pas prêter attention à cette curieuse analogie.
— Prenez ces pions par exemple, banale petite pièce qui se déplace uniquement vers l’avant, mais une seule case à la fois sauf pour leur premier déplacement où ils ont droit à deux… Ils sont souvent confinés à l’immo-bilité et qui dit immobile dans notre monde dit aussi vulnérable… Les pions sont donc souvent les premiers sacrifiés, mais ils leur arrivent aussi de surprendre… Les têtes dirigeantes les ont bien à l’œil et c’est par eux qu’ils font faire leur sale besogne… Il arrive toutefois qu’à force d’éclat de génie, un pion puisse un jour devenir reine et dans de telles conditions, sa vengeance envers tous ceux qui l’ont regardé de haut au cours de sa vie devient terrible…
Les deux hommes échangèrent un regard, mais le poète continua aussitôt ses explications.
— Tout juste derrière les pions, il y a deux types de pièces bien différentes l’une de l’autre, mais avec le même genre de pouvoir… Ce sont les cavaliers et les fous… Le cavalier est une pièce qu’il faut toujours surveiller, car il aspire au pouvoir et valse sur l’échiquier de manière subversive toujours en trois temps… Deux pas dans une direction et un dans l’autre est sa danse… Ses mouvements le rendent donc diffici-lement atteignable, mais ils ont peu de poids pour les dirigeants si ce n’est que celui d’effrayer plus souvent qu’autrement les simples pions… Les fous pour leur part sont les artistes du jeu… J’aime bien ces pièces qui ne se dirigent jamais en ligne droite, mais plutôt de côté et parfois en faisant des sauts extraordinaires… Ils voyagent souvent partout sur le jeu et les dirigeants adverses les ont toujours à l'œil, car leur vision cartésienne des choses est en complète opposition avec cette liberté que prend le fou au cours d’une partie… C’est une pièce qui a besoin d’espace pour affirmer son potentiel et n’est jamais vulnérable devant la rationalité d’un pion qui le menace, mais il se met à douter dès que deux pions s’alignent sur son chemin… Le fou change alors de route comme de stratégie…
Le vieil homme se laissa lentement emporter par les explications farfelues du poète et prit de plus en plus plaisir à l’écouter.
― Il nous reste les tours avant de parler des deux pièces les plus importantes du jeu… Les tours sont arrogantes par leur prestance, car elles sont comme des fous, mais qu’on aurait soigné… Elles se déplacent partout sur l’échiquier, mais toujours en ligne droite… Elles deviennent donc les gardiennes de la monarchie, mais aussi celles qui seront sacrifiées en cas de menaces extrêmes… Elles sont parfois les confidentes du roi, pour ne pas dire ses amantes à force de le côtoyer de si près et c’est par eux que survient souvent la victoire comme la responsabilité de la défaite… Mais que dire de la fameuse reine justement… Cette pièce qui dépasse d’une tête son époux est une des rares femme sur le terrain et comme toutes les femmes, elle représente à elle seule toute la splendeur du jeu par la grâce de ses mouvements infinis, mais aussi par sa cruauté perfide envers tous ceux qui se dressent sur son chemin… La reine est la vraie tête dirigeante du jeu tout en donnant l’impression à son impotent mari que c’est lui qui prend les décisions… Celui-ci passe la majorité de son temps inactif… On le verra parfois courir d’une case à l’autre et réclamer de l’aide en fin de partie, mais dans de telles circonstances, sa vie ne tient souvent plus qu’à un fil qui l’empêchera définitivement de bouger…
Le vieil homme ne put s’empêcher d’applaudir sponta-nément à la fin des explications. Ce n’était pas sa femme qui prenait place devant lui, mais bel et bien un poète fou qui semblait en mesure de donner un sens différent à ce jeu.
— Vous m’avez convaincu… Je crois que je vais accepter votre invitation… Jouons une partie!
Les deux hommes passèrent le reste de la matinée à jouer comme deux gamins, se découvrant une passion commune.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
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Evanescence (page 48 à 50)


Si vous me le permettez, j’aimerais bien le conserver pour quelques jours, histoire de le relire encore…
Elle le regarda un peu surprise, mais fut très heureuse de constater la réaction de son client. Le sourire qu’elle lui fit à cet instant lui servit de réponse.

(suite)

Eva était de celles dont les hommes tombaient facilement amoureux. En plus d’un charisme naturel qui s’ajoutait à sa grande beauté, sa présence lumineuse donnait une toute autre dimension à l’endroit où elle se trouvait, comme si elle galvanisait tous ceux qui prenaient place autour d’elle. Monsieur Coton ne fit pas exception à la règle. Il n’avait toutefois jamais encore connu le véritable sens de ce qu’on appelle l’amour. Il avait plutôt toujours éprouvé un grand vide face au seul lien amoureux dont il pouvait se rappeler, celui de sa mère qu’il n’avait pourtant jamais connu. Il avait donc de plus en plus peur de cette curieuse attirance qu’il ressentait envers cette jeune femme qui venait d’entrer dans sa vie telle une tornade dans un verre d’eau.
Monsieur Coton connaissait Eva-Nescencia depuis une semaine seulement, mais l’accumulation de tous ces petits moments intenses qui dépassaient largement les autres événements de son existence firent en sorte qu’il se sentait enivré par sa présence même s’il cédait souvent à ses peurs en prenant la fuite.
Il n’était cependant pas fou et savait parfaitement que cette relation ne pouvait s’épanouir que sur un plan purement platonique compte tenu de leur grande différence d’âge. Il devait donc apprendre à pondérer ses élans tout en continuant toutefois de cultiver ce lien qui illuminait une nouvelle voie dont elle ne pouvait qu’être le phare.

Il laissa à nouveau l’argent sur la table, lui fit un petit signe de la main en guise d’au revoir et retourna lentement à son monde de chiffres.


Cet après-midi-là, avant même d’avoir poinçonné sa fiche de présence, Monsieur Coton se donna un nouveau défi : saluer personnellement tous les autres employés de la banque. Plusieurs d’entre eux parurent surpris, mais ils saluèrent l’homme au chapeau melon à leur tour comme on salut une vague connaissance. Celui-ci s’installa par la suite à son bureau, satisfait de la tournure des événements et plutôt que de plonger immédiatement dans les chiffres, Monsieur Coton prit le temps de relire quelques passages du bouquin d’Ajar.
« Il y a dans tout homme un être humain qui se cache et tôt ou tard, ça finira par sortir »
(L’angoisse du roi Salomon)

À 16h59, il range proprement ses dossiers sur son bureau, prend la housse contenant l’habit qu’il a oublié de laisser à la blanchisserie, s’arrête au kiosque à journaux où il achète une revue de mode dont la couverture l’a trop souvent inspiré sans qu’il n’ait le courage de l’acheter, et part simplement s’installer au lavoir du boulevard de Vincennes pour laver lui-même son habit et lire sa revue.
Oubliant toute notion de temps, il arrive même en retard chez lui pour écouter son jeu télévisé.

Alors qu’il est confortablement installé dans son lit, la musique de Chopin prend déjà une longueur d’avance dans son imaginaire et lui offre une prestation d’une telle douceur, que Monsieur Coton s’endort avant même d’avoir eu le temps de mettre en marche sa vieille table tournante.

***

(À suivre)

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lundi 5 juillet 2010

Evanescence (page 46 à 48)


C’est très tard dans la nuit que Monsieur Coton sombra dans un sommeil sans rêves avec à son chevet, « l’angoisse du roi Salomon » dont il venait de terminer la lecture.

***
(suite)

Vendredi…

Monsieur Coton vient de se réveiller avec les idées embrouillées. Il marche vers son travail et passe sans s’arrêter tour à tour devant la blanchisserie et le kiosque à journaux. Le livre de Romain Gary ne cesse de l’obnubiler et c’est la première fois de sa vie qu’il perçoit son existence comme étant une simple pièce d’un immense casse-tête et qu’il ne se voit pas seulement face à lui-même, mais plutôt comme faisant parti d’une société avec laquelle il n’a jamais osé s’investir.
A-t-il déjà aidé quelqu’un, à l’exception des chats et des morts, dans le simple but de se faire plaisir et non pas par sens d’obligation ou par calcul?
Le livre prêté par Eva-Nescencia vient d’ouvrir la valve de l’immense barrage qu’il s’était construit tout au long de sa vie et déjà, il sent les prémisses d’un changement qui s’effectue en lui. C’est comme s’il réalisait soudai-nement qu’il faisait lui aussi partie intégrante d’un tout et qu’il était peut-être en mesure de changer un peu des choses…

Rendu à la banque, Monsieur Coton tenta de mettre un peu de sérieux dans son ouvrage jusqu’à l’heure du lunch, mais rien ne parvint à lui faire oublier les mots de Ajar.

— Ohhh… La nuit fut courte Jean?
Monsieur Coton avait le teint blanchâtre et les yeux un peu plus creux qu’à l’habitude, ce qui amplifiait la maigreur de son visage. Eva vit qu’il tenait dans sa main le livre qu’elle lui avait prêté la veille.
— Et puis… vous aimez mon bouquin? dit-elle en le conduisant à sa place, mais la jeune femme s’éclipsa aussitôt sans attendre sa réponse.

Monsieur Coton n’aurait pas su comment expliquer ce qu’avait provoqué le livre d’Émile Ajar en lui. Il avait pourtant beaucoup lu dans sa vie, presque trop, mais il ne voyait toujours que ce qu’il voulait bien voir dans les bouquins qu’il lisait. Cette fois-ci par contre, il sentait que c’est l’histoire elle-même qui venait de s’imposer à lui. « L’angoisse du roi Salomon » représentait une sorte de tournant inévitable, une porte qu’on venait de lui ouvrir et cette Eva-Nescencia ne pouvait être que l’ange gardien qui devait le guider telle une main offerte dans le labyrinthe de ses peurs.

La jeune femme déposa un plat de pâtes devant lui et s’arrêta pour entendre ses commentaires sur le livre.
— Je l’ai déjà terminé et il m’a bouleversé… Je ne peux rien ajouter d’autre pour le moment sauf vous remercier… Merci Eva… Eva-Nescencia…
Si vous me le permettez, j’aimerais bien le conserver pour quelques jours, histoire de le relire encore…
Elle le regarda un peu surprise, mais fut très heureuse de constater la réaction de son client. Le sourire qu’elle lui fit à cet instant lui servit de réponse.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
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Le poids des ombres (page 43 à 46)


La tête du jeune homme tangua lentement vers la sienne et alors qu’il s’apprêtait à l’embrasser sans lui demander son consentement, Lori arriva avec deux verres à la main et s’interposa dans la conversation silencieuse des deux tourtereaux.

(suite)

— Viens, il faut que je te parle un instant…
Elle tira son amie par la manche jusqu’aux toilettes sans lui demander son avis.
— Mais qu’est-ce qu’il y a de si urgent?
― Je te connais et je sais que tu vas m’en vouloir, mais je préfère que tu m’en veuilles un peu plutôt que jusqu’à la fin de tes jours…
Cédrika fut surprise de voir son amie devenir aussi sérieuse alors que la fête battait son plein.
— Écoute… Je ne t’ai pas tout dit au sujet du beau Mathieu… Je crois qu’il est assez volage et il n’est pas tout à fait libre…
― À ce que je sache, il ne m’a pas demandé en mariage Lili…
― En fait, j’ai su ce soir qu’il a une copine et qu’elle attend un bébé…
Cédrika resta sans mots. Ses yeux ne purent toutefois dissimuler sa grande déception.
— Ça fait des semaines que tu me parles de Mathieu depuis que je t’ai dit que je l’avais trouvé séduisant et c’est aujourd’hui que tu me racontes tout ça… Tu me fais même venir ici un peu à cause de lui et là, bang!
― Je ne savais pas tout moi non plus… Et c’est tellement rare qu’un gars t’intéresse plus de 48 heures de suite que j’ai cru que vous alliez tout au plus jouer au jeu de la séduction, mais que tout allait s’arrêter là… Je suis vraiment désolé…
Cédrika sentit une profonde amertume s’incruster dans son esprit. Ce n’était pas tant ce que Lori ne lui avait pas dit, mais bien plus l’attitude de Mathieu qui la froissa. Elle l’avait jugé différent des autres. La jeune femme quitta aussitôt l’endroit sans adresser la parole à personne, déçue encore une fois par cette part d’hypocrisie humaine.


*


Le jeu d’échec n’avait pas bougé de la table du salon depuis son départ. Il n’avait fait qu’accumuler la poussière et c’est sur cet objet que reposaient les yeux du vieil homme. Il contemplait chacune des pièces sur l’échiquier tout en tentant de découvrir à quoi aurait ressemblé le prochain coup de sa femme si un point d’exclamation ne s’était pas figé au bout de sa vie ce jour-là. Ils jouaient ensemble par procuration depuis des années, quelques coups tous les soirs et parfois, le vieil homme se réveillait la nuit pour l’écouter parler dans son sommeil avec l’espoir fou d’apprendre quelle serait sa prochaine stratégie. Elle parlait beaucoup les yeux fermés, mais malheureusement, jamais de ses secrets. Pendant toutes ces années, il ne réussit donc qu’à annuler une seule partie contre elle et malgré son grand plaisir à maugréer, une part de lui adorait lui offrir cette suprématie qui soutenait la démesure de leur complicité.
Le vieil homme regarda son roi, bien posé en E1 puis la reine de sa femme et il sut que ce n’était qu’une question de temps pour le voir plier l’échine, il prit alors la pièce dans ses mains et décida qu’il était maintenant temps de couronner la sépulture de sa reine avec le seul roi qu’elle n’avait jamais fait tomber.

*
(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
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dimanche 4 juillet 2010

Le poids des ombres (page 40 à 43)


― Si tu viens, il pourra peut-être te le dire lui-même… Aller… Habille-toi et viens nous retrouver chez moi…

(suite)

Cédrika était une femme plutôt casanière, mais sa curiosité la poussa à accepter l’invitation.
Ce n’est qu’une heure plus tard, qu’elle entra dans l’appartement de Lori telle une étincelle dans un baril de poudre. Elle sentit immédiatement les regards de la gent masculine se tourner vers elle et fut satisfaite de l’effet qu’elle venait de provoquer par le choix final de son habillement qui avait changé à plusieurs reprises en cour de route. Ses vêtements étaient sobres, mais révélaient parfaitement le côté svelte de son corps et son teint de lait, qui était tout juste rehaussé de pigments colorés au niveau des yeux, exprimait magnifiquement sa grande beauté. On aurait dit une fée, transformée en femme l’espace d’un moment.

— Ça fait une heure que je t’attends, tu faisais quoi? J’ai même essayé de te rappeler sur ton portable et tu ne répondais plus… Je m’inquiétais, lui dit Lori qui semblait très altérée par les effets de l’alcool.
― Je ne trouvais plus mon téléphone…
― Mais on venait tout juste de se parler…
― Tu me connais… C’est probablement ma petite Canaille qui s’est amusée avec pendant que je prenais une douche et du coup, je ne l’ai pas retrouvé dans mon bordel…
Lori serra sa meilleure amie dans ses bras. Elle avait les yeux bridés de ceux qui viennent de fumer de l’herbe, mais on la sentait soulagée de la retrouver.
— Je n’en reviens pas… Tu restes à cinq minutes d’ici… La prochaine fois, je t’envoie une invitation par la poste pour que tu puisses avoir le temps de te préparer, dit-elle en titubant légèrement.
Cédrika remarqua tout de suite Mathieu qui était en conversation avec une grande blonde plantureuse. Elle ne put s’empêcher de contempler la jeune femme au décolleté plongeant qui révélait bien ses atouts et sentit une sorte de lourdeur s’abattre sur elle. Des atouts qu’elle aurait aimé posséder et qui selon elle, ne révélaient en ce moment que le côté « adulescent » de son propre corps.
— Elle est jolie, dit-elle à Lili.
— Tu parles de qui?
― Elle… La fille avec Mathieu…
― Pouah… Tu parles de Fanie… Si tu savais comment cette fille est bizarre et complexée… Presque autant que toi, mais dans son cas, je crois qu’elle a raison de l’être un peu, lui dit-elle avec une pointe d’ironie. Elle use un peu trop de son seul point favorable si tu vois ce que je veux dire…
― Deux points favorables, répondit Cédrika.
Les deux amies éclatèrent de rire et c’est à ce moment que Mathieu vit la jeune femme. Son regard changea complètement et la plantureuse Fanie devint instanta-nément une sorte de bibelot quelconque dans la pièce. Il fit preuve d’un flagrant manque de tac en la délaissant pour venir expressément à la rencontre de Cédrika. Lori en profita pour s’éclipser, protestant devoir aller chercher un verre pour son amie.

— Est-ce que quelqu’un vous a déjà dit que vous aviez un galbe du mollet incroyable?
La jeune femme éclata d’un rire coloré. Mathieu venait de faire une percutante entrée de jeu.
— Le galbe de mon mollet n’a d’égal que le côté ovoïdal du vôtre cher Monsieur…
— Je vois que madame se spécialise dans la poésie…
― La tragédie serait plutôt son point fort…
― Il y a pourtant très peu de tragiques dans ce qui vous sert de regard…
― Tout est une question de maquillage… Si vous regardez bien, vous verrez l’ampleur de mon désarroi, mais je vous préviens tout de suite, la déception sera grande, lui dit-elle d’un sourire qui contribuait certaine-ment au réchauffement global de la planète.
Mathieu plongea ses yeux dans les siens et la jeune femme fut intimidée par l’intensité de ce regard qui la mit à nu. Elle sentit aussitôt le sang lui monter au visage et ne put s’évader dans le rôle qui jusqu’ici, lui avait permis cette belle frivolité.
La tête du jeune homme tangua lentement vers la sienne et alors qu’il s’apprêtait à l’embrasser sans lui demander son consentement, Lori arriva avec deux verres à la main et s’interposa dans la conversation silencieuse des deux tourtereaux.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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