« tomber dans la lune ». Le visage de sa femme pouvait effectivement être comparé à cet astre par son côté mystérieux et envoûtant, mais il redoutait cependant de plus en plus les parts d’ombre de sa mémoire, comme des éclipses lunaires de cette réalité qui n’existait plus qu’en lui.
*
Lori ne reconnut pas le visage du jeune homme qui venait d’entrer dans le café. Il marchait avec une surprenante légèreté malgré ses vêtements mouillés et sa démarche particulière lui donnait un air sympathique. Elle se dirigea vers le bar alors que Cédrika dansait toujours en retrait tout en se laissant transporter les yeux fermés par le rythme incessant de la musique. Lori en profita pour diminuer un peu le volume et s’approcha de son client dont le visage ruisselait de pluie. Elle vit toutefois ses traits se figer comme une statue de cire lorsqu’il tourna la tête vers la table de billard où Cédrika dansait toujours. Celle-ci utilisait souvent l’endroit comme une piste de danse qui lui était réservée. Lori n’était donc plus surprise de voir ses clients s’extasier devant la beauté diffuse de cette jeune comédienne qui s’évadait d’elle-même dès qu’elle en avait la chance, mais tout comme son amie, elle aussi avait un immense besoin de plaire. Elle devait donc parfois user d’un décolleté révélateur pour garder l’attention de ses clients.
Sentant le volume de la musique diminuer, Cédrika se laissa choir dans un des divans qui juxtaposaient la table et se mit à chanter en faisant des chœurs d’une voix d’une étonnante pureté. Lori ne put s’empêcher de sourire en entendant la voix sublime de sa meilleure amie, puis elle se tourna à nouveau vers son client qui n’avait toujours pas bougé.
― Je vous offrirais bien une serviette pour vous essuyer, mais je n’ai qu’un vieux linge de vaisselle ou mon chandail, lui dit-elle en lui lançant un clin d’oeil. Je peux tout de même vous offrir de boire quelque chose de chaud…
Le jeune homme usa de toutes ses forces pour reprendre une certaine constance.
— Je crois que je vais prendre un chocolat chaud…
― J’ajoute de la crème chantilly?
― Ce serait génial… Il prit place au bar de manière à pouvoir regarder discrètement en direction du divan.
Cédrika s’y trouvait toujours et souriait comme si un ange s’était déposé un instant sur ses paupières closes. On la sentait emportée par la musique et c’est ce à quoi le jeune homme pensait en l’observant du coin de l’œil. Il aurait voulu lui aussi fermer les yeux et se laisser simplement transporter par le son de cette voix, mais c’est à ce moment que Lori arriva avec une tasse qu’elle déposa devant lui. Elle lui planqua alors un de ses sourires ravageurs dont elle seule connaissait le secret.
— Je peux vous voler une fleur? Dit-il timidement en regardant le bouquet qu’elle n’avait toujours pas eu le temps de glisser dans un vase.
La jeune femme fut charmée. Elle approcha le bouquet pour qu’il puisse en choisir une qu’elle croyait bien se faire offrir en guise de réponse à son sourire, mais elle fut doublement surprise lorsque celui-ci sortit un crayon de sa poche, griffonna quelques mots sur une serviette de table avant de se lever de son siège pour se diriger vers la table de billard.
Cédrika chantait toujours quand elle sentit une vague présence à ses côtés. C’est en ouvrant les yeux qu’elle vit le jeune homme s’éloigner. Il avait préalablement déposé un mot, puis une tasse devant elle dans laquelle flottait une orchidée mauve sur son lit de crème blanche.
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(À suivre)
* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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