Nous passions donc beaucoup de temps à lire côte à côte, elle, avec ses synapses, moi, avec mes ombres et tous ces mots que je rêvais incons-ciemment de lui écrire.»
(suite)
*
Le soleil plombait déjà très fort quand le vieil homme se présenta au cimetière. Il était pourtant tôt, mais on sentait que la journée allait encore être plus suffocante que celle de la veille. « Foutue température! », marmonna-t-il en passant devant le gardien qui resta surpris de se voir interpeller de la sorte. Le vieil homme ne répondit toutefois pas à son sourire de bienvenue comme à son habitude. Il marcha plutôt péniblement jusqu’à la sépulture de sa femme. On le vit alors déposer sa main sur son tombeau comme un père le fait pour prendre la température de son enfant fiévreux. Il parut satisfait de réaliser à quel point la pierre avait su conserver une part de fraîcheur au cours de la nuit.
— Tu n’as pas trop chaud là-dessous?
Je ne m’habituerai jamais à cette chaleur… De toute manière, je crois qu’il est déjà trop tard pour changer mes habitudes… Je sais ce que tu vas me dire… D’enlever mon imperméable, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise, on ne change pas de peau aussi facilement quand c’est tout ce qui nous reste… Je me sens nu sans lui et tu vois, sans mon imperméable, je n’aurais pas pu t’apporter ça…
Le vieil homme sortit un paquet en papier d’aluminium de sa poche qu’il se mit à déballer.
— C’est certain qu’il n’est pas aussi beau que les tiens, mais bon… Ça te faisait tellement plaisir de me faire un gâteau d’anniversaire, que j’ai pensé…
Il tenta vainement de briser le gâteau en deux.
— Je crois qu’il est un peu dur… Tu veux bien me dire c’est quoi de la poudre à pâte?
Seuls les oiseaux répondirent à sa question. On sentit alors une profonde solitude s’abattre sur lui. Le vieil homme se laissa glisser le long du monument sans bouger et resta là un long moment, tenant son gâteau dans sa main comme un mendiant tient son chapeau dans la rue, espérant peut-être qu’un miracle y soit déposé…
*
Cédrika marchait seul en direction de son école de théâtre. Le temps était magnifique, mais on la sentait préoccupée, comme si une ombre se répercutait inlas-sablement dans toute sa démarche, la rendant ainsi encore plus fragile qu’à l’habitude.
Elle avait décidé la veille de profiter de la très belle soirée pour aller visiter ses parents à la campagne. Elle voulait aussi revoir son chien et retrouver son lit d’enfance où reposaient tant de souvenirs, mais tout ne s’était pas déroulé exactement comme elle l’espérait. Sa sœur, pour ne pas dire sa presque jumelle, n’y était pas, retenue à son travail, et comme à son habitude, son père avait pris le contrôle total de cette soirée. Elle l’avait préalablement accompagné au marché d’alimentation pour faire comme « sa petite princesse » l’avait toujours fait. Ils avaient acheté d’immenses darnes de saumon qu’il voulait faire cuir sur le barbecue, puis plusieurs tomates de saisons qu’elle avait dévoré en cachette pendant la nuit en leur ajoutant une épaisse couche de sel. Elle aurait bien voulu proposer à son père d’acheter des brioches à la cannelle pour sa mère, mais Cédrika n’osa pas, de peur de le voir sombrer dans un de ses éternels discours sur le côté malsain du sucre et du sel. Elle prit tout de même une tablette de chocolat au passage qu’elle glissa subtilement dans sa poche comme elle l’avait fait si souvent au cours de sa jeunesse et ce, sans jamais se faire prendre. Le vol n’existait à ses yeux que sous cette forme ténue d’un entêtement familial bien plus que par mesquinerie. Ils avaient ensuite mangé ensemble, parlés de tout, sauf de son audition, puis ce qui s’était relativement bien passé jusqu’ici se termina abruptement par une bien mauvaise nouvelle.
Sa pauvre mère qui en avait vu de toutes les couleurs avec le temps allait devoir apprendre à penser à elle maintenant puisqu’on venait de lui diagnostiquer une forme bénigne de cancer.
Cédrika aurait aimé déjà savoir que tout allait bien se passer, que sa mère sortirait indemne et plus forte de cette épreuve, mais à ce moment de l’histoire, elle n’en savait toujours rien. Elles avaient pleuré ensemble une bonne partie de la soirée et la jeune femme fut déchirée de n’être pas en mesure de trouver les mots justes pour la réconforter, déchirée d’être incapable de la prendre dans ses bras et de lui insuffler l’espoir dont elle avait probablement besoin. Seules ses larmes furent témoins de sa grande détresse comme de toute son impuissance.
*
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!