
Les deux hommes passèrent le reste de la matinée à jouer comme deux gamins, se découvrant une passion commune.
*
(suite)
― Mais où est passée cette si belle lumière qui t’entourait hier?
Cédrika tenta vainement de sourire à Octavio qui était assis tout près de l’entrée du cabanon en fumant sa pipe. Le temps s’était lentement dégradé et une pluie fine se laissait maintenant balayer par un vent qui rendait les conditions extérieures inconfortables, mais l’homme aux fleurs était là, habillé d’un imperméable jaune qui lui donnait l’allure d’un vieux capitaine de bateau.
— Je ne croyais pas que tu allais ouvrir par ce temps, lui dit-il.
― Ce n’est pas moi qui décide, mais de toute manière, ça me fait du bien d’être sorti un peu de chez moi… Et vous, que faites-vous dehors par cette pluie?
― Rien de spécial… J’observais les gens… C’est drôle de voir à quel point ils deviennent pressés quand il pleut… Mais toi, ça va?
Tu sembles préoccupée…
— Bah! Rien de grave… C’est probablement la température…
― Si tu le dis… Mais il y a passablement plus de gris dans tes yeux que dans le ciel, alors si tu veux épurer un peu ton esprit, tu sais que je suis là…
La jeune femme le regarda avec bienveillance. Elle entra dans le kiosque un instant pour déposer ses choses, mais sortit aussitôt sa tête du cadre de porte pour poursuivre la conversation.
― Est-ce que vous percevez toujours aussi bien les états d’âme des autres, ou c’est simplement moi qui suis trop transparente?
― Un peu des deux, mais dans ton cas, disons que l’immensité de tes yeux cache très mal le désarroi provoqué par toutes les questions qui y gravitent… C’est aussi ce qui rend ton visage si mystérieux… Certains sont de grands livres ouverts, mais dans ton cas, on parle probablement d’une encyclopédie en plusieurs tomes…
Cédrika esquissa un semblant de sourire.
— Disons que la journée d’hier était si belle que j’aurais dû m’endormir avant qu’elle ne finisse ainsi…
― Et ce « ainsi » ressemble à quoi si ce n’est pas trop indiscret?
Elle prit quelques instants avant de répondre.
― Encore les hommes… Tout est de votre faute, dit-elle en riant. Vous êtes incapable d’user réellement de démesure sauf quand il s’agit de vos instincts sexuels, mais la vraie démesure, celle qui nous pousse à modifier le réel, celle qui peut nous faire pleurer de rire comme de tristesse, celle qui donne l’élan à tout le reste, est-ce possible de la trouver chez un homme?
Octavio ne put s’empêcher de sourire.
― Ne suis-je pas le parfait exemple de ce que tu viens de décrire?
Cédrika balaya l’air de sa main en soupirant faussement devant la prétention de son poète.
─ Mais sérieusement ma belle, tu sais que je m’identifie très souvent à ta quête d’existence et à ton besoin d’être différente des autres car j’étais pareil dans ma jeunesse, mais il ne faut jamais oublier qu’à vouloir trop sublimer la fleur, on finit par dessécher la plante qui la fait grandir et on se trouve alors bien seul avec toutes nos questions… Tu sais que j’ai longtemps eu peur de la solitude et à une certaine époque de ma vie, j’ai peuplé la mienne de bien des gens, mais du même coup, je me sentais incapable d’accepter ce que je jugeais comme étant de l’étroitesse d’esprit de leur part pour vraiment m’investir dans quelque chose de durable avec eux… J’avais une soif intarissable d’absolue et ce bouillonnement intérieur me rendait je crois un peu arrogant envers les autres… J’ai donc fini par me retrouver seul avec mes chimères à travailler dans une librairie peuplée par les fantômes de tous les bouquins que je lisais… C’est à ce moment que j’ai rencontré Gaïa… Cette femme possédait quelque chose que je n’avais encore jamais compris… Elle avait cette force intérieure qui m’apparaissait comme une puissante flamme, mais la sienne était bien différente des feux de mon esprit qui se consumaient rapidement afin de toujours aller voir ailleurs… Gaïa possédait plutôt le secret de conserver les braises de tout ce qui l’avait enflammé la veille… Alors que je cherchais le changement partout où j’allais pour essayer de mieux exister, elle incarnait plutôt le changement aux choses en prenant le temps de bien les observer et de voir cette infime différence qui m’échappait à tout coup dans ma course… J’ai alors fini par comprendre que mon besoin d’exaltation du départ s’était lentement transformé en inaction et que c’était une bien drôle de manière de refuser d’être celui que j’étais…
La jeune femme resta sans mots. Elle aurait bien voulu continuer à exprimer sa frustration, mais le gris de ses yeux venait de se teinter de questions encore plus déroutantes que celles qui jusque-là, avaient influencé sa journée. Elle chuchota un merci à Octavio et plongea délicatement sa main dans un sceau pour en sortir une branche d’orchidées qu’elle contempla en écoutant tomber la pluie. Elle ne savait pas encore que l’image de cette fleur resterait gravée en elle toute sa vie, mais à ce moment, une vague de chaleur parcourut ses veines.
(À suivre)
* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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