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vendredi 9 juillet 2010

La part des ombres (56 à 58)


« On offre souvent ce qui a de plus beau et de plus pure en nous quand on est confronté au souvenir de ce qui, l’espace d’un instant, nous a rendu le plus près de nous-même » lui avait un jour dit Octavio. Elle pensa donc à toutes ces fleurs, s’abreuvant d’un passé pourtant si près, mais qui pour elles, représentaient déjà le côté infini du moment où le couperet de leur existence s’était abattu pour les séparer de cette source de vie.

(suite)

Cédrika profita de ce congé forcé pour faire un saut au café où Lori travaillait et lui apporter un bouquet, histoire de lui montrer qu’elle ne lui en voulait pas pour les événements de la veille.

— Dis donc, c’est triste à mourir ici! Lui dit-elle en entrant par surprise dans le commerce. Le visage de Lori s’illumina instantanément. Le café était vide, mais une lancinante musique techno faisait vibrer l’air d’une sourde pulsation cardiaque.
― Bella! Je suis tellement heureuse de te voir… Mais qu’est-ce que tu fais ici à cette heure?
― J’avais des fleurs à livrer, dit-elle avec une touche d’espièglerie en lui montrant le bouquet qu’elle lui avait apporté. Lori eut toute la difficulté à contenir ses larmes.
― Je ne mérite tellement pas ta gentillesse… C’est moi qui devrais t’offrir des fleurs… Si tu savais à quel point je suis désolé pour hier… Je croyais bien faire, mais comme d’habitude, j’ai gaffé…
― C’est pourtant moi la gaffeuse généralement… Tu me connais…
Les deux jeunes femmes s’étreignirent mutuellement.
― Je m’installe où? Lui dit Cédrika en la taquinant.
― Nous sommes complets en ce moment, mais pour une femme si belle, je suis certain qu’un charmant jeune homme acceptera de partager sa table en votre compagnie…
Cédrika lui lança une pille de sous-verre qui traînait sur le bar en guise de fausse modestie. Elle prit ensuite un crayon et griffonna un mot sur un bout de papier. « Tu m’emmerdes! » Lori en profita pour augmenter le volume de la musique et les deux jeunes femmes se mirent à danser avec emportement en rigolant. C’est à ce moment que la porte du café s’entrouvrit.

*

Il était encore très tôt lorsque le vieil homme décida d’aller se coucher. Sa journée avait pourtant bien commencé en compagnie du poète avec qui il avait longuement joué aux échecs, mais le gris du ciel s’était progressivement fait une place dans son esprit et il n’avait pu échapper à la confusion que créait toujours son retour à la maison dans le vide des pièces que sa femme avait tellement meublé.
Étendu dans son lit, il écouta pendant un long moment la pluie qui tombait sur le toit, puis sans aucune préméditation, son bras se posa sur l’oreiller vide à ses côtés. Ses doigts se mirent à tambouriner comme s’il jouait du piano sur une tête imaginaire. Geste qui s’était imprégné en lui comme chez ceux qui continuent à ressentir un membre longtemps après se l’être fait amputer.
Le vieil homme observait maintenant ses doigts bouger d’un regard qui s’éloignait de lui pour se rapprocher d’elle. L’image de sa femme se formait alors avec une précision qu’il avait éprouvée aux premiers jours de leur rencontre, mais il avait de plus en plus besoin d’éléments déclencheurs pour que la perfection de ses traits jaillisse de ses pensées. Il ressentait alors à nouveau cette complicité qui les avait unis si longtemps, mais du même coup, une ombre s’immisçait en lui quand il cherchait volontairement à se souvenir. Sa vieille mémoire lui ramenait encore facilement les parcelles de vie qu’ils avaient partagées, mais leur couleur n’était jamais aussi flamboyante que lorsqu’il plongeait dans un état quasi onirique qu’on appelle communément « tomber dans la lune ». Le visage de sa femme pouvait effectivement être comparé à cet astre par son côté mystérieux et envoûtant, mais il redoutait cependant de plus en plus les parts d’ombre de sa mémoire, comme des éclipses lunaires de cette réalité qui n’existait plus qu’en lui.

*
(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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