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samedi 3 juillet 2010

Le poids des ombres (page 38 à 40)


Elle vit alors les pigeons du parc s’envoler d’un trait vers le ciel, appelés là par une mystérieuse danse où tous et chacun y allait d’une parfaite synchronisation sauf un qui marchait toujours lentement au milieu du square. C’était lui, Octavio, cet oiseau particulier qui possédait son propre rythme, tout comme sa propre danse.

*

(suite)

« Je ne sais pas comment elle s’appelle, mais en la voyant pour la première fois, j’ai tout de suite pensé au nom d’une fleur que mon grand-père aimait tant.
Mon « Ancolie » disait-il à ma grand-mère alors qu’il l’enserrait tel un châle qu’on dépose douce-ment sur les épaules de quelqu’un. Cette véritable fleur très rare de couleur bleue, il me l’avait montré un jour en montagne, mais à défaut d’y voir la fleur, j’y avais plutôt vu le bleu particulier de ses yeux à l’origine de cette jolie métaphore d’un temps perdu. Mon grand-père et ma grand-mère se sont envolés depuis quelques années déjà, mais ce mot vient de réapparaître sous la forme de cette femme dont je ne sais toujours rien, si ce n’est que la certitude d’avoir à la connaître. »

« Je n’ai pas cessé de marcher durant toute l’après-midi. Les écureuils ont bien tenté de sympathiser un peu avec moi, mais je n’étais simplement pas là. Il n’y a que ce court paragraphe d’un roman de Guillaume Vincourt qui a su me sortir un peu de ma torpeur, mais encore là, ces mots n’ont fait qu’accentuer un peu plus mon désarroi. On dirait que je m’enlise dans des fabulations, même si la chose est relativement courante dans mon cas.
Mais qui est donc cette fille?
Je suis célibataire par choix et aussi par plaisir depuis presque deux ans maintenant, mais je ne me suis jamais senti ainsi. Ça fait des heures que je marche sans savoir où je vais et sans m’en rendre compte, je reviens toujours dans cette même allée, sur ce même foutu banc où je m’arrête un instant pour lire quelques pages avec l’espoir fou de la recroiser, puis je repars avec toutes mes questions.
Je me demande si c’est possible qu’un arc-en-ciel réapparaisse au même endroit?
Je me sens curieusement prêt à affronter tous les orages pour me prouver que les statistiques emprun-tent parfois des chemins beaucoup plus tortueux qu’une simple suite de chiffres et de hasards…

*

Cédrika tentait vainement de s’endormir lorsque son portable résonna à nouveau.

— Tu es où? Lui demanda Lori d’une voix qui avait peine à se faire entendre tellement la musique bour-donnait dans l’émetteur.
— Où penses-tu à cette heure?
― Mais il faut fêter le succès de ton audition… Viens me rejoindre, c’est la fête ici…
― Lili, je n’ai rien à fêter… Je ne sais même pas si j’aurai le rôle et en plus, j’ai des cours très tôt demain…
― Arrête de vouloir être parfaite et viens nous rejoindre… Tu seras seulement un peu fripée demain matin, c’est tout… Il y a tout plein de jolis garçons dont le beau Mathieu et il m’a justement parlé de toi…
― De moi? Et qu’est-ce qu’il a dit, lui demanda-t-elle avec un certain émoi.
― Si tu viens, il pourra peut-être te le dire lui-même… Aller… Habille-toi et viens nous retrouver chez moi…

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur *( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

Evanescence (page 40 à 42)


Il contempla encore une fois l’intensité de son sourire pendant qu’elle servait un autre client et dut admettre, malgré toutes ses études en mathématiques et sa rationalité reconnue, qu’il n’avait probablement encore rien compris à la logique de la vie.

***

(suite)
Mercredi…

— Mais si ce n’est pas mon client préféré…
Eva jeta un coup d’œil à sa montre.
— Je commençais à m’inquiéter, vous avez plus d’une minute de retard, lui dit-elle en lui lançant un clin d’œil pétillant d’espièglerie.
Elle installa Monsieur Coton à sa table habituelle sans lui laisser de menu et disparut aussitôt vers la cuisine. Eva revint quelques instants plus tard avec une assiette de paupiettes de saumon accompagnées de tagliatelles qu’elle déposa devant lui. Monsieur Coton n’eut même pas le temps de réagir que la jeune serveuse était à nouveau disparue. Ça ne pouvait être qu’une erreur se dit-il. Il contempla tout de même la beauté du plat et attendit patiemment le retour d’Eva en tentant vainement de lui faire signe pendant qu’elle servait les clients d’une autre table. Après cinq minutes d’attente pendant lesquelles il ne parvint jamais à attirer son attention, Monsieur Coton sentit une pointe de frustration naître en lui. Eva semblait tout faire pour l’ignorer. Il ne put alors contenir son indignation…
— Mademoiselle! Je n’ai jamais commandé ce repas et j’attends toujours ma salade parisienne, dit-il à haute voix et d’un ton légèrement condescendant.
La jeune femme le foudroya du regard. Elle prit alors une grande respiration, détourna son regard et continua son travail sans même lui répondre. Monsieur Coton, la tête basse, n’osa pas pousser plus loin la confrontation. Il savait très bien maintenant que l’erreur était volontaire, mais par orgueil, il ne toucha pas à son repas et resta dignement assis à sa place pendant de longues minutes à feuilleter son journal.
Eva revint prendre l’assiette qu’il n’avait toujours pas touchée et en déposa brusquement une nouvelle devant lui dans laquelle trois profiteroles à la crème semblaient nager dans les eaux sombres d’un fleuve chocolaté. Elle quitta aussitôt la table sans explication et sans attendre la réaction de son client.

Monsieur Coton ne se rappelait plus à quand remontait la dernière fois où il avait mangé un dessert dans sa vie. Il n’avait pratiquement jamais osé céder à cette sorte de péché sucré sans être hanté par des peurs inconscientes qui lui venaient tout droit de son enfance. Son père lui avait toujours formellement défendu de manger des sucreries, signes précurseurs d’un état de débauche selon lui.
Monsieur Coton observa tout de même l’assiette avec une sorte d’envie irrésistible qu’il tenta vainement de réprimer. La faim se faisant cruellement sentir, il céda enfin et plongea aussitôt vers son assiette comme un vautour le fait devant sa proie avec une avidité dans les yeux que seul le geste vint pondérer.
C’est dans un léger tremblement de la main qu’il approcha sa fourchette du péché défendu. Il ferma alors les yeux pour mieux se laisser envahir par l’extase du contact divin entre son palais et le chocolat fondant, sensation douce comme celle d’un premier baiser. Malgré son apparente retenue extérieure, il en goûta minutieusement chacune des parcelles comme un chimiste analyse chaque molécule d’une solution, conscient que tous les éléments de cette splendeur provoqueraient tôt ou tard une réaction atomique en chaîne.
Attaqué de toutes parts, ses papilles gustatives explosèrent dans un violent tressaillement et tout son corps fut alors secoué par un puissant élan de volupté!

Il rouvrit finalement ses yeux voilés par une émotion qui lui était totalement inconnue et c’est là qu’il vit Eva-Nescencia qui le regardait avec son plus tendre sourire. Elle lui dit simplement :
— Vous savez Jean, il ne faut jamais avoir peur de donner une part d’accessibilité à la démesure de nos envies…

***
(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
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vendredi 2 juillet 2010

Evanescence (page 37 à 40)


En sortant du restaurant, Monsieur Coton prit une grande inspiration afin d’absorber cette dose massive d’émotions et retourna lentement vers son travail.

***

(suite)


Mardi…

— Bonjour Jean! Votre nouvelle moustache vous va très bien!

— Merci… bredouilla-t-il d’un air qui ne pouvait cacher la gêne qui venait d’empourprer son visage.

Eva venait par cette simple phrase de justifier le geste fou qu’il avait commit en se levant.

Monsieur Coton s’était réveillé cinq minutes plus tôt qu’à son habitude afin de tailler sa moustache pour la rendre un peu moins austère. Il avait eu cette idée saugrenue la veille en se couchant et ce matin, il avait osé la réduire pour la première fois depuis des années. Il s’était alors senti un tout autre homme jusqu’à ce que sa voisine lui dise comme tous les matins de sa même voix nasillarde:

« Beau costume Monsieur Coton! »

Elle n’avait rien remarqué, pas plus que Madame Bataclan qui avait recueilli ses habits comme à son habitude! Il avait même poussé l’audace jusqu’à offrir de maigres sourires aux employés de la banque qu’il rencontrait, mais personne n’avait remarqué le change-ment avant qu’Eva-Nescencia ne lui fasse ce compli-ment.

Cette fois-ci, elle tira la chaise placée du côté droit de la table tout en déposant le menu ouvert directement devant lui.

Une salade parisienne! dit-il.

— Je vois que vous aimez bien la salade… Il y a pourtant un cassoulet maison digne de mention ce midi…

— Je vous remercie, mais je vais prendre la salade…

No hay problema! lui dit-elle en partant vers la cuisine.

Lorsqu’elle revint avec son bol de salade, Monsieur Coton lui demanda si elle parlait couramment l’espagnol.

Je le parle presque aussi bien que le français, et je me débrouille de mieux en mieux en anglais à cause des touristes… Pour la langue russe cependant, je la comprends un peu à cause de papa, mais je n’en bredouille que quelques mots…

Monsieur Coton fut impressionné.

Et vous Jean, vous parlez une autre langue que le français?

— Malheureusement non, sauf le langage des chiffres… Les langues, c’est surtout pratique pour voyager alors que moi, je reste depuis toujours dans ce quartier… Disons que mes voyages se font purement d’une manière littéraire…

— Vous devriez pourtant le faire… Visiter le monde est certainement un de mes plus grands rêves… Je crois que j’ai toujours ressenti le besoin de découvrir certains mystères qui se cachent dans l’immensité de notre belle planète… Vous imaginez que pendant que nous vivons la journée d’aujourd’hui, certains vivent déjà demain…

Eva prononça ces paroles avec l’emportement d’une petite fille alors que le scintillement de ses yeux était devenu le miroir de ses rêves vagabonds. Elle reprit son souffle et lui dit :

— Je n’ai malheureusement jamais encore eu la chance de voyager, et présentement, tout comme vous, je me laisse plutôt transporter par les mots qui me transportent tout de même très loin…

Monsieur Coton resta songeur en l’écoutant. Où puisait-elle cette force et cette confiance qui exultait de chacun de ses gestes et comment cette femme pouvait-elle n’éprouver aucune inhibition face aux rigueurs de la vie?

Il se dit qu’elle devait certainement être malheureuse à quelque part et qu’on ne pouvait pas toujours vivre avec l’ombre d’un rêve à nos trousses…

Il contempla encore une fois l’intensité de son sourire pendant qu’elle servait un autre client et dut admettre, malgré toutes ses études en mathématiques et sa rationalité reconnue, qu’il n’avait probablement encore rien compris à la logique de la vie.

***

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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Le poids des ombres (page 35 à 38)


Le vieil homme tendit timidement sa main au poète pour le saluer, puis avant de quitter, il prit son appareil photo et pointa l’objectif en direction du mur où se reflétait l’ombre du clocher.

*

(suite)

Cédrika venait tout juste de quitter son amie et se dirigeait lentement vers son lieu de travail. Elle flâna un long moment devant les boutiques du quartier et sembla transportée par une bonne humeur contagieuse qui se transposait sur les passants qu’elle croisait et qui répondaient souvent aux sourires qu’elle distribuait sans compter. Elle fut d’autant plus heureuse lorsqu’elle arriva au kiosque où elle travaillait et qu’elle vit les chaudières remplies de fleurs fraîchement cueillies qui allaient inspirer ses créations.

Octavio se présenta quelques instants plus tard avec son plus cordial sourire.

— Tu en fais une de ces têtes ma jolie Reine…

Cédrika qui voyageait très loin dans ses pensées fut enchantée de retrouver son vieux poète.

― Ohhh! Je suis tellement heureuse de vous voir…

La jeune femme irradiait de cette lumière particulière qu’on retrouve dans la braise d’un feu qu’une brise vient de rallumer. La beauté devient alors une simple représentation d’un authentique bien-être.

— Ton audition s’est bien déroulée?

— Si vous saviez à quel point c’était génial… Il n’existe pas d’autres mots pour expliquer cette sensation d’emportement que j’ai ressenti sur scène… Un de mes professeurs était présent ainsi que trois autres personnes dont le metteur en scène de la pièce, mais j’étais curieusement très calme… J’ai même senti ma prof plus nerveuse que moi… Dès le début de la scène, je crois que j’ai été transporté ailleurs…

― Wow! Ça me fait vraiment plaisir d’entendre cette bonne nouvelle… Tu sais que je suis très fier de toi Cédrika… J’ai toujours été convaincu de ton talent, mais parfois, tu doutes tellement de toi-même que j’avais peur que tu ne puisses être à la hauteur de celui-ci…

La jeune femme fut enchantée de sentir cette grande générosité et cette si belle complicité qu’ils avaient su développer ensemble depuis quelques mois. Elle aurait aimé avoir encore ce genre d’échanges particuliers avec son père qui avaient bercés toute son enfance. Malheureusement, le temps était passé, transportant dans son sillon un lot de désabusements qui avait transformé un père rêveur en une triste copie aigrie de sa réalité.

― Je ne sais toujours pas si j’aurai le rôle, mais je suis maintenant certaine de vouloir faire ce métier… Mon professeur m’a dit que j’ai été excellente…

La jeune femme ne put s’empêcher de rire nerveusement, toujours enivrée par une énergie débordante qu’elle n’était pas en mesure de contrôler.

— Je suis tellement heureux pour toi… Il n’y a rien de plus beau que de voir émerger les bulles de lumière dans les yeux de ceux qui sont à l’écoute de leurs passions… Et tu peux être certaine que si j’avais 40 ans de moins, je ne serais pas ici pour t’acheter des fleurs en ce moment, mais plutôt pour t’en offrir, lui dit-il en lui lançant un de ses clins d’oeil qui intimidait à tous coups la jeune femme. Elle aimait toutefois entrer dans le jeu théâtral de cet homme comme si une idylle intemporelle les unissait.

— Si vous aviez 40 ans de moins, vous ne passeriez pas votre temps à essayer de motiver une éternelle indécise comme moi et vous ne seriez surtout pas celui que vous êtes… Combien de fois vous ai-je entendu dire que seul le regard d’une femme est en mesure de changer le monde… Eh bien dans votre cas, je crois que Gaïa y a été pour beaucoup… Je suis donc simplement privilégiée de vous connaître maintenant…

Une ombre passa à travers le regard d’Octavio lorsqu’il repensa à Gaïa.

— Elle m’a effectivement beaucoup changé… Je dirais qu’elle a permis à l’homme de passion de s’extérioriser du carcan dont je m’étais enlisé… Je me souviens pourtant d’avoir été un enfant très enjoué et même un peu hyperactif par moment, mais l’adolescence m’a rendu taciturne je crois… Tu sais qu’à cette époque, malgré mon métier de libraire et mon amour pour les mots, je n’avais encore jamais osé écrire quoi que ce soit avant de la rencontrer…

― Vous ne m’avez jamais dit que vous étiez écrivain, lui dit Cédrika qui ne semblait toutefois pas surprise d’entendre une telle chose.

― Écrivain est un bien grand mot… C’est une longue histoire que je te raconterai peut-être un jour, mais oui j’ai écrit… pour elle, pour moi, pour elle en moi…

La jeune femme le regarda longuement, laissant aux mots le temps de s’épandre en elle et de se diluer dans les yeux du poète.

― Et vous avez publié?

L’homme aux fleurs fut incapable de répondre. Il s’empressa de se lever de sa chaise, prétextant une soudaine soif, puis s’éclipsa vers un café situé tout près.

Cédrika le regarda s’éloigner, emportant avec lui cette part de pénombre qui donnait du relief à sa person-nalité, puis les cloches de l’église résonnèrent quatre fois pour annoncer l’heure. Elle vit alors les pigeons du parc s’envoler d’un trait vers le ciel, appelés là par une mystérieuse danse où tous et chacun y allait d’une parfaite synchronisation sauf un qui marchait toujours lentement au milieu du square. C’était lui, Octavio, cet oiseau particulier qui possédait son propre rythme, tout comme sa propre danse.

*

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
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jeudi 1 juillet 2010

Le poids des ombres (page 32 à 35)


Lui aussi avait rêvé d’étoiles. Il en avait même visité plusieurs avec elle, mais il pesta une fois de plus contre sa vieille mémoire qui n’arrivait plus à conserver intact la beauté de tous ses souvenirs.

*


(suite)

Il était midi quand le vieil homme réalisa que sa marche l’avait mené en plein cœur du centre-ville. Il n’avait jamais particulièrement aimé cet endroit, mais depuis un certain temps, il s’était mis à apprécier de plus en plus cet étau artificiel qui rendait les gens singuliers. Les cloches d’une église résonnaient bruyamment de ses douze coups lorsqu’il entra dans un petit square où des personnes s’entassaient déjà par dizaines pour manger et profiter de cette splendide journée.

— Je crois que je n’oublierai jamais cette belle mélodie…

Le vieil homme se retourna, interpellé par cette voix qui semblait s’adresser à lui. Octavio avait la tête plongée dans le bleu du firmament comme s’il regardait s’évaporer chaque note qu’orchestrait le carillon. Il s’empressa toutefois de sourire à celui qui regardait maintenant dans la même direction que lui et poursuivit son monologue.

— J’aime beaucoup imaginer les chemins particu-liers que prend la musique en nous… Elle se laisse probablement influencer par nos états d’âme autant que par les buildings sur lesquels elle use des plus inconcevables contorsions avant de venir faire vibrer nos tympans… C’est un peu comme notre mémoire… Les deux hommes échangèrent un regard. Je me présente, Octavio, poète urbain et marchand de fleurs… Vous êtes Monsieur Chrysanthème je suppose…

Le vieil homme resta sans mot devant la désinvolture de celui qui venait de se présenter à lui et qui venait de lui donner le nom d’une fleur. S’il avait su…

— Je ne vous dis pas ça comme un fleuriste puisque je ne le suis pas, mais plutôt comme celui qui sait reconnaître la couleur des hommes… Tenez, celles-ci sont pour vous…

Octavio lui offrit une branche de fleurs blanches identiques à celles que sa femme avait si souvent rapportées à la maison. C’était ses préférées…

Il fut ébranlé par le geste du poète, mais lâcha aussi tôt la branche comme un tison qui lui aurait brûlé la main.

— Je suis allergique, finit-il par dire d’un ton glacial.

— Ce n’est rien, les fleurs, c’est comme la musique… Il faut parfois apprendre à se laisser apprivoiser par elles… Octavio ramassa la branche et porta à nouveau son regard vers le ciel. Vous savez, je viens ici depuis des années et chaque jour, j’entends ces mêmes cloches résonner à midi, mais aujourd’hui, elles l’ont fait aussi pour vous et c’est déjà assez pour affirmer leur différence…

Le vieil homme resta sans mot. Il éprouva toutefois une curieuse sensation de sérénité aux côtés de cet homme qui ne semblait pas le juger.

― C’est la première fois que je vous vois ici, vous êtes du coin? Lui demanda Octavio.

Le vieil homme qui n’avait plus l’habitude de parler sentit toutefois le besoin de s’ouvrir un peu à cet inconnu.

― Je suis du nord de la ville, mais le hasard m’a mené ici cet après-midi…

― Le hasard… Vous y croyez vraiment?

Et pourtant…

Le poète sombra un moment dans un silence qui à lui seul, renfermait toute la cacophonie de son passé. Il se secoua un peu et poursuivit la conversation.

- Moi je préfère croire que la vie est un perpétuel croisement de chemins où nous avançons plutôt que de tout lier aux simples lois du hasard, lui dit-il. Le seul problème, c’est que nous devons avancer à l’aveugle… La route est pourtant devant nous, mais sa lumière absolue ne nous permet pas de voir ce qui vient en avant… Nous avons donc appris à avancer en observant toujours dans nos rétroviseurs et c’est souvent quand les choses sont derrières nous que nous prenons conscience de leur beauté, de leur fragilité, mais aussi du fait qu’elles ne sont plus que des souvenirs…

― C’est déprimant votre vision de la vie… Il ne reste plus alors que l’ombre des choses si j’ai bien compris votre raisonnement, lui répondit le vieil homme.

― Je crois plutôt que l’ombre est simplement le décalage de la lumière, ou plutôt la manière de celle-ci de se reposer un instant… Octavio ne put s’empêcher de sourire en voyant la tête du vieil homme qui ne semblait plus rien comprendre à son charabia. Désolé si je suis un peu philosophique… Vous allez me prendre pour un vieux sénile, lui dit-il en riant.

― N’ayez crainte, s’il y a quelqu’un de fou entre nous deux, je ne parierais pas sur vos chances de l’emporter… Allez! Je vous laisse avant de me mettre à éternuer avec vos fleurs…

― Vous avez très bien résisté je trouve… Comme quoi tout est une question de conditionnement et non de hasards… Revenez me voir si vous êtes dans le coin, je suis souvent ici et je vous jure que la prochaine fois, je vous parlerai des résultats sportifs…

Le vieil homme tendit timidement sa main au poète pour le saluer, puis avant de quitter, il prit son appareil photo et pointa l’objectif en direction du mur où se reflétait l’ombre du clocher.

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(À suivre)

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evanescence (page 34 à 37)


À 18h00, heure de la fermeture du parc, Monsieur Coton retourne chez lui afin de poursuivre son entretien littéraire avec Camus.

Il s’endort ce soir-là dans l’attente fébrile de revoir Eva-Nescencia…

***

(suite)


Lundi…

— Heureuse de vous revoir Jean!

Eva guida son client vers sa table et tira une chaise pour l’inviter à s’asseoir, mais celui-ci choisit celle de l’autre côté.

Monsieur Coton déteste le côté gauche des choses. À la table, il choisit toujours de s’asseoir du côté droit; il dort aussi de ce côté du lit; il dépose toujours sa brosse à dents à la droite du dentifrice et c’est dans la poche droite de son veston qu’il dépose le montant exacte de son journal chaque matin.

Eva n’en était pas à une surprise près avec son client. Elle lui sourit et lui tendit le menu.

— Je vais prendre la salade parisienne! dit-il avant même d’avoir eu le document entre les mains.

Quelques instants plus tard, alors qu’Eva déposait devant lui un grand bol de salade entouré par d’immenses pétales de tomates, Monsieur Coton prit son courage à deux mains et lui posa une question :

— Dites-moi Eva-Nescencia, de quelle nationalité êtes- vous? Il prononça son prénom comme on chuchote le nom d’un enfant endormi.

Devinez! lui dit-elle avec un enthousiasme débordant.

C’est que je ne suis vraiment pas très bon dans les devinettes…

— Raison de plus pour vous forcer un peu Jean…

Monsieur Coton n’avait jamais aimé être prit au dépourvu, mais puisqu’il avait lui-même posé la question, il prit le moins de chance possible en répondant.

— Je dirais certainement européenne!

— Mais c’est que vous êtes beaucoup trop perspicace mon cher… dit-elle d’un ton sarcastique.

Elle disparut aussitôt vers les cuisines d’où elle revint avec les plats commandés à une table voisine.

Et puis, vous avez trouvé mieux? lui dit la jeune femme en passant.

Monsieur Coton se sentit presque froissé par cette impertinence et cette envoûtante liberté qui émanait d’elle.

Eva lui apprit alors qu’elle était Française, née à Perpignan, mais de parents immigrés. Elle lui parla ensuite un peu de son enfance, puis plus particu-lièrement de sa mère d’origine espagnole. Celle-ci, étant comédienne dans une petite troupe de la commedia dell’arte, fut très souvent absente de la maison en raison de son métier. Son père, d’origine russe, était pour sa part pianiste de réputation strictement régionale. Il fut donc obligé d’enseigner à gauche et à droite afin de réussir à payer le loyer, mais la jeune Eva ne manqua jamais de rien, surtout pas d’amour dans cet univers familial très particulier.

Monsieur Coton remarqua que la voix d’Eva avait changé lorsqu’elle avait parlé de ses parents. Ses yeux respiraient alors d’un souffle d’admiration. Elle était belle, et sa beauté à cet instant précis s’était accrue, comme si une brise du passé s’infiltrait doucement en elle pour venir l’irradier.

En sortant du restaurant, Monsieur Coton prit une grande inspiration afin d’absorber cette dose massive d’émotions et retourna lentement vers son travail.

***


(À suivre)

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mercredi 30 juin 2010

Le poids des ombres (page 29 à 31)


C’est à ce moment qu’elles croisèrent un jeune homme assis seul sur un banc du parc. Il avait les yeux fermés, un livre déposé sur les genoux, un sourire accroché au visage et Cédrika ne put s’empêcher d’imaginer les rêves qui devaient bercer cet inconnu.

Elles poursuivirent leur chemin, mais la jeune femme ne put s’empêcher de se retourner subtilement vers lui une dernière fois. C’est à ce moment qu’ils échangèrent leur premier sourire.

*

(suite)


Le vieil homme marchait tranquillement dans le parc qui était situé tout près du cimetière. Il venait de visiter sa femme comme à tous les matins et avait éprouvé le besoin de venir ici. Il avait déjà aimé cet endroit à une époque où il venait souvent s’asseoir pour simplement regarder les enfants s’y amuser. N’avoir jamais eu d’enfants était probablement le plus grand manque de sa vie.

N’avoir jamais eu d’enfants avec elle...

Sa femme les adorait pourtant, mais le temps était passé avec son lot d’appréhensions que l’on repousse toujours un peu, jusqu’au jour où nos rêves ne deviennent plus qu’un bref sourire mélancolique qu’on accroche à nos lèvres pour se convaincre qu’il n’est pas trop tard et que le temps est un mode de calcul très aléatoire quand on aspire à l’éternité. Malheureusement pour eux, l’horloge biologique de sa femme s’était détraquée comme une boussole sous la force de l’aimant qui les avait un jour réunis. Leur bonheur s’était donc exprimé à travers un lot de complicité qu’ils ne furent jamais en mesure de partager.

Depuis sa mort, le vieil homme venait ici bien plus par habitude que par plaisir. Il dénigrait de plus en plus cette marmaille tapageuse que des mères insouciantes laissaient crier sauf un petit garçon plutôt spécial qui piquait régulièrement sa curiosité. Il devait avoir environ quatre ans et s’appelait Thomas. L’enfant s’amusait ce jour-là avec un ballon rouge qu’il faisait rouler sur l’herbe autant que dans les talus de fleurs qui longeait la bordure du parc, ce qui fit plaisir au vieil homme qui détestait de plus en plus l’arrogance de ces plantes colorée qui passait leur temps à renaître année après année, lui rappelant constamment le douloureux souvenir de celle qui les avait tant appréciés.

Thomas courrait presque toujours, mais il pouvait aussitôt s’arrêter devant une parcelle d’invisible qu’il était seul à avoir vu. Ce trait de caractère exaspérait souvent sa mère.

« Thomas, qu’est-ce que tu fais encore? » « Regardes où tu marches, sinon tu vas tomber! » « Thomas, va chercher ton ballon sinon quelqu’un va te le voler! »

Mais l’enfant n’était plus là et n’aurait surtout pas pu comprendre alors le phénomène de perde son ballon ni même celui de le posséder tant il semblait absorbé par son monde imaginaire. Ses yeux se portaient partout et s’attardaient de longs moments sur d’infimes détails qui auraient laissé les autres indifférents.

C’est dans un de ces élans qu’il s’approcha ce matin-là du vieil homme qu’il avait vu à plusieurs reprises et lui posa une question.

— Pourquoi tu prends jamais de photos?

Le vieil homme parut surpris d’être interpellé aussi directement. Il déposa nerveusement ses mains sur l’appareil qui trônait à son cou.

— Bein j’en prends quelques-unes…

L’enfant resta de glace et attendit sa réponse.

― Et toi, pourquoi tu me regardes comme ça?

Je ne sais pas moi pourquoi… J’en sais rien, lui dit le vieil homme qui commençait à s’énerver.

― Peut-être que ta caméra est fatiguée, lui dit alors Thomas qui ne semblait jamais cligner des yeux.

Comme s’il se parlait à lui-même, le vieil homme répondit :

— Peut-être que c’est ma mémoire qui est fatiguée…

L’enfant lui sourit, puis ses yeux prirent une très belle couleur.

― Moi, quand je serai grand, je vais être astronaute et je prendrai plein de photos du ciel…

« Thomas, vient ici! » lui dit sa mère.

Le vieil homme observa le visage de l’enfant qui s’était soudainement illuminé d’étoiles. Il fouilla dans sa poche et sortit une photographie de la lune qu’il lui offrit. Celui-ci repartit en courant avec sa photo à la main tel un petit prince ambulant retournant sur sa planète.

Lui aussi avait rêvé d’étoiles. Il en avait même visité plusieurs avec elle, mais il pesta une fois de plus contre sa vieille mémoire qui n’arrivait plus à conserver intact la beauté de tous ses souvenirs.

*

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...

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Evanescence (page 32 à 34)


Cette phrase à elle seule valait la peine qu’il se détourne quelque peu de sa route. Le hasard de cette rencontre combiné aux paroles de la jeune femme firent en sorte que pour la première fois de sa vie, Monsieur Coton venait de décider d’écouter l’autre voix de sa conscience.


(Suite)


À 21h00, Monsieur Coton ferme sa télé. Il s’installe confortablement pour terminer son livre d’Eluard, et, clin d’oeil des dieux, reste figé, les yeux sur la page qu’il vient d’ouvrir au hasard :

« Il fallait bien qu’un visage réponde à tous les noms du monde… »

***


Dimanche…

Le début de journée de Monsieur Coton fut des plus agréables. Après avoir trouvé un vieux bouquin d’Albert Camus qu’il feuilleta rapidement, il tomba par hasard sur une autre phrase troublante, comme si elle avait été écrite expressément pour lui :

« Il y a seulement de la malchance à ne pas être aimé, il y a du malheur à ne pas aimer. »

Monsieur Coton hocha la tête pour lui-même en signe d’acquiescement. Il acheta le livre, s’arrêta chez l’épicier pour prendre une boîte de sardines et partit sur la rue Roquette en direction du cimetière du Père Lachaise où il passe tous ses dimanches après-midi.

Rendu là, il se dirigea directement vers le tombeau de Chopin pour son rendez-vous hebdomadaire avec lui.

Sur les lieux, Monsieur Coton commence toujours par faire un signe de croix devant le buste blanc du pianiste virtuose, puis, il appelle un jeune visiteur.

Habituellement, ce dernier laisse aussitôt pointer ses petites oreilles entre deux monuments funéraires et s’approche.

Chopin, nom que Monsieur Coton lui a donné, est un chat craintif qui se présente toujours au rendez-vous, surtout quand l’odeur des sardines se répand dans cette minuscule allée du cimetière. Le chat tigré aux yeux presque blancs arrive parfois accompagné d’autres chats, mais on sent que c’est lui qui règne en maître sur ce territoire. Monsieur Coton l’a adopté quelques années plus tôt lors d’une de ses nombreuses lectures à haute voix qu’il vient faire tous les dimanches au défunt musicien. En quête d’une caresse, le félin s’était subtilement faufilé entre ses pieds ce jour-là, puis l’habitude qu’avait Monsieur Coton de lui apporter des sardines les lia rapidement l’un à l’autre.

Monsieur Coton aime venir ici et lire à haute voix comme il aimerait qu’on le fasse pour lui après sa mort. C’est d’ailleurs avec cet espoir fou qu’il a déjà choisi de faire écrire sur sa pierre tombale :

« Ici repose un homme qui n’aspire plus qu’à vous tendre l’oreille... SVP, lisez pour moi! »

À 18h00, heure de la fermeture du parc, Monsieur Coton retourne chez lui afin de poursuivre son entretien littéraire avec Camus.

Il s’endort ce soir-là dans l’attente fébrile de revoir Eva-Nescencia…

***


(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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