Monsieur Coton cherche à reprendre son souffle, anxieux simplement de penser à tout ce qu’il aimerait lui raconter. Il se sait cependant incapable d’une telle liberté d’expression. Sa réponse va probablement se résumer à quelques mots si elle découvre son pendentif, mais le fait d’être préparé à toute éventualité le rassure. Il espère simplement n’avoir rien à dire de tout cela.
Sur la porte d’entrée du restaurant, il put lire en grosses lettres :
PERDU PENDENTIF! S.V.P. Vous adresser au personnel.
Monsieur Coton ravala difficilement la boule d’angoisse qui venait de le frapper de plein fouet. Il devait absolument se calmer pour ne pas éveiller d’inutiles soupçons. Il finit par entrer.
— Bonjour Jean!
Eva le regarda droit dans les yeux, mais elle ne fit pas attention au subtil changement de sa tenue vestimen-taire, ni au pendentif accroché à son cou qui par un secret désir, s’était presque caché sous le col de sa chemise.
Monsieur Coton aime beaucoup s’identifier aux héros des livres qu’il lit, mais le seul rôle qu’il avait osé jouer jusqu’à ce jour était celui de sa propre vie. Il se sentit donc liquéfié devant la jeune femme qui semblait regarder à travers lui comme on regarde l’horizon.
— Bonjour Mademoiselle Eva… dit-il d’une voix chevrotante. Comment allez-vous aujourd’hui?
Il regarda alors son cou, mais elle ne remarqua rien de sa nervosité. Monsieur Coton semblait évoluer dans cette situation avec la même aisance qu’un africain voyageant pour la première fois sur un bobsleigh.
— Je ne vais pas très bien… finit-elle par lui dire.
— Est-ce qu’il s’agit bien de votre pendentif dont il est question sur la porte?
C’est la première fois que je ne le vois pas accroché à votre cou…
— Eh oui, c’est le mien… Je n’y comprends rien… J’ai la mauvaise habitude de toujours porter la main à mon cou et de jouer avec la chaîne de mon pendentif, mais je le fais presque toujours d’une manière incons-ciente… Je ne sais donc pas quand j’ai pu le perdre, mais ça ne peut être qu’hier… Je m’en suis rendue compte seulement au milieu de l’après-midi… Si vous saviez, dit-elle d’une voix d’enfant qui tente de raconter un immense chagrin. J’ai l’impression d’avoir perdu une grande partie de moi-même… Mes parents sont si loin, mais avec mon pendentif…
Sa voix se brisa avant qu’elle n’ait pu prononcer la suite. D’un geste machinal, Eva porta douloureusement la main à son cou dénudé.
Monsieur Coton fut incapable de supporter l’incom-mensurable douleur qui émanait d’elle. Il aurait voulu à cet instant se fondre en or et n’être plus que l’essence même du bijou pour se laisser pendre à son cou.
— J’espère seulement l’avoir perdu ici et qu’un client l’aura retrouvé…
Eva n’avait rien remarqué… Monsieur Coton sentit ses muscles abdominaux se contracter alors qu’il nageait en pleine confusion sur ce qu’il devait maintenant faire. Eva souffrait de la perte de son pendentif et il aurait tant voulu lui redonner un peu du bonheur qu’elle lui apportait, mais la griserie de la sentir indirectement contre sa poitrine était si forte… Le destin semblait jouer en sa faveur jusqu’ici.
Eva s’efforça de sourire et partit lui chercher le Pavé de biche annoncé sur le menu du jour. C’était devenu un automatisme pour elle de ne plus questionner son client sur ses choix culinaires. Elle savait trop bien que la nouvelle ouverture d’esprit qu’il affichait était encore beaucoup trop fragile pour prendre la chance de le voir à nouveau commander sa salade parisienne. De toute manière, Monsieur Coton prenait de plus en plus goût à ce traitement particulier et déstabilisant.
— Je pourrais peut-être vous aider à le retrouver?
dit-il timidement alors que la jeune femme déposait son repas devant lui. Monsieur Coton aurait aimé pouvoir se contenir et éviter de parler encore du bijou puisque chaque évocation du médaillon provoquait chez lui une sorte de brûlement d’estomac. Mais une force très puissante le poussait à tout faire pour qu’elle remarque enfin le pendentif à son cou et ainsi, le libérer de cette insupportable oppression. Eva se pencha alors vers lui et approchant sa bouche de son oreille, il sentit un électrisant souffle passer à travers tout son corps.
C’était la fin… Monsieur Coton ferma les yeux pour savourer le moment où il allait sentir les doigts d’Eva-Nescencia détacher la chaîne de son cou, mais il sentit plutôt la fraîcheur d’une lèvre contre sa joue.
C’était ses lèvres à elle… Eva venait de lui donner un baiser pour le remercier avant de lui dire: « Vous êtes trop gentil! »
C’était plus qu’il ne pouvait en prendre. Eva repartit vers une autre table pour continuer son travail et il en profita pour s’éclipser du restaurant en laissant un gros pourboire derrière lui.
(À suivre) * Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur *( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!