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samedi 31 juillet 2010

Evanescence (page 67 à 70)


Monsieur Coton cherche à reprendre son souffle, anxieux simplement de penser à tout ce qu’il aimerait lui raconter. Il se sait cependant incapable d’une telle liberté d’expression. Sa réponse va probablement se résumer à quelques mots si elle découvre son pendentif, mais le fait d’être préparé à toute éventualité le rassure. Il espère simplement n’avoir rien à dire de tout cela.

Sur la porte d’entrée du restaurant, il put lire en grosses lettres :

PERDU PENDENTIF! S.V.P. Vous adresser au personnel.

Monsieur Coton ravala difficilement la boule d’angoisse qui venait de le frapper de plein fouet. Il devait absolument se calmer pour ne pas éveiller d’inutiles soupçons. Il finit par entrer.

— Bonjour Jean!

Eva le regarda droit dans les yeux, mais elle ne fit pas attention au subtil changement de sa tenue vestimen-taire, ni au pendentif accroché à son cou qui par un secret désir, s’était presque caché sous le col de sa chemise.

Monsieur Coton aime beaucoup s’identifier aux héros des livres qu’il lit, mais le seul rôle qu’il avait osé jouer jusqu’à ce jour était celui de sa propre vie. Il se sentit donc liquéfié devant la jeune femme qui semblait regarder à travers lui comme on regarde l’horizon.

— Bonjour Mademoiselle Eva… dit-il d’une voix chevrotante. Comment allez-vous aujourd’hui?

Il regarda alors son cou, mais elle ne remarqua rien de sa nervosité. Monsieur Coton semblait évoluer dans cette situation avec la même aisance qu’un africain voyageant pour la première fois sur un bobsleigh.

— Je ne vais pas très bien… finit-elle par lui dire.

— Est-ce qu’il s’agit bien de votre pendentif dont il est question sur la porte?

C’est la première fois que je ne le vois pas accroché à votre cou…

Eh oui, c’est le mien… Je n’y comprends rien… J’ai la mauvaise habitude de toujours porter la main à mon cou et de jouer avec la chaîne de mon pendentif, mais je le fais presque toujours d’une manière incons-ciente… Je ne sais donc pas quand j’ai pu le perdre, mais ça ne peut être qu’hier… Je m’en suis rendue compte seulement au milieu de l’après-midi… Si vous saviez, dit-elle d’une voix d’enfant qui tente de raconter un immense chagrin. J’ai l’impression d’avoir perdu une grande partie de moi-même… Mes parents sont si loin, mais avec mon pendentif…

Sa voix se brisa avant qu’elle n’ait pu prononcer la suite. D’un geste machinal, Eva porta douloureusement la main à son cou dénudé.

Monsieur Coton fut incapable de supporter l’incom-mensurable douleur qui émanait d’elle. Il aurait voulu à cet instant se fondre en or et n’être plus que l’essence même du bijou pour se laisser pendre à son cou.

J’espère seulement l’avoir perdu ici et qu’un client l’aura retrouvé…

Eva n’avait rien remarqué… Monsieur Coton sentit ses muscles abdominaux se contracter alors qu’il nageait en pleine confusion sur ce qu’il devait maintenant faire. Eva souffrait de la perte de son pendentif et il aurait tant voulu lui redonner un peu du bonheur qu’elle lui apportait, mais la griserie de la sentir indirectement contre sa poitrine était si forte… Le destin semblait jouer en sa faveur jusqu’ici.

Eva s’efforça de sourire et partit lui chercher le Pavé de biche annoncé sur le menu du jour. C’était devenu un automatisme pour elle de ne plus questionner son client sur ses choix culinaires. Elle savait trop bien que la nouvelle ouverture d’esprit qu’il affichait était encore beaucoup trop fragile pour prendre la chance de le voir à nouveau commander sa salade parisienne. De toute manière, Monsieur Coton prenait de plus en plus goût à ce traitement particulier et déstabilisant.

Je pourrais peut-être vous aider à le retrouver?

dit-il timidement alors que la jeune femme déposait son repas devant lui. Monsieur Coton aurait aimé pouvoir se contenir et éviter de parler encore du bijou puisque chaque évocation du médaillon provoquait chez lui une sorte de brûlement d’estomac. Mais une force très puissante le poussait à tout faire pour qu’elle remarque enfin le pendentif à son cou et ainsi, le libérer de cette insupportable oppression. Eva se pencha alors vers lui et approchant sa bouche de son oreille, il sentit un électrisant souffle passer à travers tout son corps.

C’était la fin… Monsieur Coton ferma les yeux pour savourer le moment où il allait sentir les doigts d’Eva-Nescencia détacher la chaîne de son cou, mais il sentit plutôt la fraîcheur d’une lèvre contre sa joue.

C’était ses lèvres à elle… Eva venait de lui donner un baiser pour le remercier avant de lui dire: « Vous êtes trop gentil! »

C’était plus qu’il ne pouvait en prendre. Eva repartit vers une autre table pour continuer son travail et il en profita pour s’éclipser du restaurant en laissant un gros pourboire derrière lui.


(À suivre) * Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur *( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!


La part des ombres (68 à 71)


Cédrika resta songeuse. Elle aurait aimé être en mesure de changer sa manière de percevoir certaines choses dans sa vie actuelle et surtout accepté la simplicité que prend parfois la route du bonheur, mais elle savait qu’on n’efface pas aussi facilement vingt-deux ans de vie avec une conscience qu’un père nous a indirectement imposée.

*

C’est fou comme je me sens fragile ce matin. Je lui ai donné rendez-vous au parc cet après-midi, mais j’avais besoin de venir ici avant pour bien baliser le secteur. Je me suis dit qu’avec des pierres, ce ne serait pas très original alors j’ai choisi d’acheter plusieurs sacs d’arachides et comme le petit poucet, j’ai tracé un chemin. En fait, j’ai plutôt dessiné un immense cercle de plusieurs mètres qui entoure ce banc, ainsi qu’une bonne partie de l’allée. Ce territoire nous servira peut-être de bulle si jamais elle ose venir à ce rendez-vous. Nous aurons alors probablement la visite d’un curieux cortège d’écureuils qui vont venir se régaler de ce trésor tombé du ciel, mais j’aime imaginer qu’ils seront surtout les témoins privilégiés de ce moment.

J’ai par contre très peur de l’éventualité de cette rencontre si elle a lieu. Je souhaite presque m’être trompé et que cette femme, dont je ne sais toujours pas le nom, ne soit qu’une sorte de négatif d’une photo alors que mes yeux n’y voient en ce moment que la lumière de son développement…

Je m’étais pourtant juré de ne jamais plus ressentir un tel élan pour quelqu’un et d’offrir plutôt à la blancheur d’une page, toutes les couleurs de mes emportements, mais on est si faible quand survient le cri du cœur.

J’attends…

… Je l’attends…

…sur ce banc qui est déjà un peu le nôtre et que ma conscience voudrait me faire quitter de peur d’y laisser cette part de rêve qui aujourd’hui encore, me permet d’exister.

Je me demande toutefois si c’est mieux de vivre l’illusion du bonheur pour éviter de souffrir ou plutôt d’oser encore une fois ouvrir une parenthèse sans savoir à quoi ressemblera le point d’exclamation de sa fin?

Je voudrais tellement être capable de choisir, mais je me sens trop emporté pour écouter mes peurs mais du même coup, beaucoup trop faible pour les affronter.

« Un jour, je me suis retrouvé avec elle sur le vieux Colorado River Bridge qui se trouve au Costa Rica et qui est le plus haut pont d’Amérique. C’est aussi l’endroit le plus élevé au monde où on peut faire un saut de bungee en tandem. Vous ne me connaissez pas, mais mes amis vous confirmeront que j’ai une peur bleue de tout ce qui est plus haut que ce qui peut être enjambé. Je vis même souvent dans le noir puisque j’ai peur de grimper pour changer une ampoule grillée, mais ce jour-là, j’ai sauté du pont comme un oisillon, poussé par la simple puissance d’une confiance aveugle que j’éprouvais à ce moment et surtout à travers le regard de celle qui d’une seule phrase, avait su guider mon élan. « On se donne rendez-vous entre le ciel et les étoiles », m’avait-t-elle dit en prenant ma main.

Et nous nous sommes envolés… »

*

Le soleil levant venait tout juste de traverser la cime des arbres du cimetière. Il était encore très tôt, mais le vieil homme avait conservé cette habitude de se lever à l’aube pour assister à la lente procession de la lumière. Sa femme adorait ces instants d’ambivalence où la clarté du jour caressait timidement chaque objet endormi. Elle partait alors avec sa truelle et son arrosoir en direction de ce même cimetière où elle reposait maintenant, mais pendant plusieurs années, elle y avait fleuri les sépultures des oubliés. C’était elle la « Robin des bois » de l’endroit, dérobant ici et là des fleurs qu’elle déposait par la suite sur des tombes qui n’avaient plus que le vert-de-gris pour les colorer.

Le vieil homme avait par contre décidé de fleurir la sépulture de sa femme à sa manière. Il venait ici chaque matin et à défaut de sentir le cruel parfum de son absence à travers des fleurs qui tôt ou tard, mourraient à leur tour, il amenait ses photos qu’il avait prit la veille, puis les collait à l’envers directement sur le tombeau de marbre dans lequel elle reposait. C’était sa manière de conjurer leurs deux réalités; lui, en laissant s’échapper des fragments ombragés de son quotidien et elle, pensait-il, en gardant contact avec cette part lumineuse qu’elle serait certainement en mesure de voir à travers les photos de son « Âme »i.

Le vieil homme observait maintenant le monument de sa femme avec une attention toute particulière. Il laissa divaguer son esprit en regardant le jeu des ombres qui faisait momentanément disparaître la date qui y était inscrite. Il resta ainsi un long moment, sans bouger, sans que plus rien n’existe si ce n’est que cette alternance entre la lumière de ses souvenirs et la noirceur de son présent. Avant de quitter, il prit toutefois quelques clichés de la sépulture pour être bien certain que tout ça, ce n’était malheureusement pas un mauvais rêve...

*

(À suivre) * Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur *( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!


vendredi 30 juillet 2010

La part des ombres (64 à 67)


« Je croyais jusqu’à présent qu’en observant bien les fleurs, on obtenait la preuve que les anges existent bel et bien sur terre à travers le faible battement d’ailes de leur beauté éphémère. Mais depuis quelque temps, je m’éveille auprès de cette femme et j’ai maintenant la certitude que certaines fleurs nous envoûtent à jamais de leur immortel parfum. »

Ses yeux restèrent fixés sur la branche de fleurs qu’il tenait toujours dans sa main, puis…

*
(suite)

Le vieil homme était réveillé depuis longtemps, mais il ne bougea pas de son lit de toute la journée. La lourdeur de ses pensées ne voulait toujours pas se dissiper alors qu’il observait l’ombre de la patère sur laquelle le chapeau de sa femme était toujours accroché. L’ombre prit alors forme sur le mur et le lent mouvement du soleil lui donna l’impression qu’elle se déplaçait dans la pièce avec cette quasi-immobilité qui la caractérisait si bien quand elle contemplait une œuvre d’art. Chaque mur était maintenant une immense fresque où le chapeau de sa femme avançait comme un figurant de cette peinture qu’il avait lui-même créé en sa compagnie. Il se surprenait parfois à examiner un portrait d’elle, placé en évidence sur la table de chevet, qui illustrait magnifiquement toute sa splendeur, mais son image ne se révélait jamais aussi intense que dans ces instants où, à travers l’ombre de ses pensées, il la retrouvait.

*

… une image se forma distinctivement dans son esprit.
Gaïa…
Comment une femme si belle avait-elle pu s’éprendre d’un libraire taciturne tel que lui, pensa-t-il. Il n’avait toutefois jamais douté de son propre amour envers elle depuis le premier jour ou elle était entrée dans son commerce. Le temps était pluvieux ce jour-là et les clients se faisaient rares lorsque Gaïa était entrée dans sa librairie. Elle sembla immédiatement apprécier le charme de l’endroit alors que l’odeur du vieux papier se mélangeait à celle du café qu’Octavio préparait d’une main de maître. Elle s’était approchée du comptoir en souriant comme on le fait en retrouvant un vieil ami puis elle lui avait dit : « Si vous aviez un seul livre à me faire découvrir en ce moment, ce serait lequel? » La jeune femme avait lancé cette phrase d’un ton qui inspirait la confidence. Octavio avait tout de suite été touché par la densité extraordinaire de son visage qui exprimait une belle confiance ainsi que la juste mesure d’une nonchalance bien orchestrée, mais aussi par toute sa sensibilité qu’elle n’aurait pu lui cacher. Le libraire sortit alors deux tasses et sans même lui demander son avis, il leur prépara un expresso comme seuls les Italiens savent le faire. Il lui dit ensuite: « Avant de pouvoir vous répondre, parlez-moi un peu de vous! »


Cédrika continuait de raconter sa rencontre avec Gabriel avec un emportement qu’elle ne pouvait contrôler. Rencontre qui n’avait pourtant duré que quelques instants, mais chacune de ces secondes semblait avoir été découpée en des dizaines d’images bien précises dans sa tête qui n’avaient pour but que de pousser un peu plus loin les lois énigmatiques de la convergence humaine. Le jeune homme avait utilisé la serviette de table pour lui fixer un rendez-vous qui devait avoir lieu le lendemain matin au parc où il s’était rencontré pour la toute première fois.

— Je crois que je n’ai jamais été aussi nerveuse… C’est bien pire qu’une audition…
― C’est certain qu’une audition, c’est un peu comme une répétition de la vie alors qu’il y a des rendez-vous qui deviennent de véritables tremplins à l’intérieur même de notre existence, lui dit Octavio.
― Les miens se sont presque toujours terminés avant même de sentir l’envol… C’est comme si je n’arrivais jamais à sauter sur ce foutu tremplin malgré tous mes efforts…
― Peut-être est-ce une question d’équilibre, lui dit-il en la regardant directement dans les yeux. Il y a ceux qui sautent haut, mais toujours bien droit comme un ascenseur qui monte et descend… Ils sont cependant toujours attachés solidement à leurs câbles, ce qui leur donne l’impression de voir loin, mais sans jamais se laisser aller… Il y a aussi ceux qui avancent comme des funambules dans la vie… Ils ont l’impression de vivre les hauteurs, mais en fait, ils ne tombent jamais… Ils ne font que se concentrer sur un point bien précis devant eux qui n’implique aucun changement de trajectoire… Mais il y a ceux qui préfèrent la chute libre… C’est fou du ciel se laisse porter par l’effet des vents tout en plongeant à une vitesse vertigineuse vers le sol… Ils prennent alors rapidement conscience qu’une fraction de seconde sépare la vie de la mort… C’est à ce moment que l’apothéose du spectacle peut se produire alors que la chute est amortie par un parachute invisible que l’on contrôle en parti et qui nous laisse apprécier ces instants magiques où on n’a plus l’impression de tomber, mais plutôt de vivre comme on a jamais vécu…

Cédrika ne put s’empêcher de voyager très loin à travers les mots d’Octavio. L’homme aux fleurs lui laissa le temps de remettre les pieds sur terre avant de lui poser une question.
— Est-ce que tu as déjà osé faire un tel saut ma petite reine? Devenir vulnérable au point de te mettre à douter de tes plus grandes certitudes?
― Peut-être qu’on ne m’en a jamais donné la chance…
― Je ne crois pas personnellement en la chance… Du moins, seulement en celle qui implique le mouvement du hasard à celui d’un geste bien précis… Je crois que ce n’est qu’à ce moment que le terme chance s’applique, car nous devenons en partie responsables de celle-ci…
― Ouf… Je ne sais pas… Vous avez peut-être raison… Mais c’est tellement compliqué tout ça… Je sais que je manque de courage…
― Peut-être que ce n’est pas une question de courage, mais plutôt une peur incroyable de décevoir les autres, lui dit-il. Tu es de loin la plus grande perfec-tionniste que j’ai rencontrée dans ma vie, mais tu sais, malgré toutes tes tentatives, il y aura toujours des personnes qui resteront indifférentes à celles-ci… Ne vaut-il pas mieux être celle que tu es, plutôt que de toujours espérer être celle qui doit être parfaite?
De toute manière, nous sommes fait de ce que nous aimons et non pas de ce que les autres s’imaginent aimer en nous…
La jeune femme resta sans mot pendant un long moment, puis elle chercha à reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappait.
— Mais n’est-ce pas normal justement de viser la perfection pour s’améliorer?
― Tout dépend… Moi j’aime bien les imperfections, surtout chez les gens… C’est souvent ce qui leur donne le plus de personnalité et de charme… La perfection implique une notion beaucoup trop cartésienne d’un geste comme si rien d’autre ne pouvait altérer la beauté du mouvement…
Cédrika resta songeuse. Elle aurait aimé être en mesure de changer sa manière de percevoir certaines choses dans sa vie actuelle et surtout accepté la simplicité que prend parfois la route du bonheur, mais elle savait qu’on n’efface pas aussi facilement vingt-deux ans de vie avec une conscience qu’un père nous a indirectement imposée.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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Evanescence (page 63 à 66)


Monsieur Coton a alors choisi de ramasser cet extraordinaire trésor, quitte à s’y brûler, et il cherche désespérément une justification à son geste. Il n’a plus aucune logique sur laquelle s’accrocher et sent qu’il s’enfonce de plus en plus dans un chemin sans issue.

***

Mercredi…

6h55… Monsieur Coton est toujours étendu, dans son lit. Il n’a pas pris la peine d’enlever ses chaussures, ni de se déshabiller avant d’aller se coucher. Son complet fraîchement pressé attend toujours impatiemment d’être libéré de sa housse, mais le temps ne semble plus avoir prise sur cet homme. Même ses cils ne clignent plus. On le croirait mort si on ne portait pas attention au maigre mouvement de la couverture grise qui le recouvre jusqu’à la tête et qui suit le chant de son souffle.

Monsieur Coton participe à une grande symphonie intérieure qui l’a tenu éveillé toute la nuit et qui lui a donné par moment l’impression de pouvoir se détacher de lui-même comme dans un état de somnambulisme. Il est passé par toutes les gammes d’émotions alors que son esprit serpentait entre l’allegro et l’adagio d’Eva-Nescencia.

Ses yeux sont toujours ouverts et il ne cesse de contempler le bijou qu’il a soigneusement installé sur l’oreiller à sa gauche. C’est la première fois de sa vie qu’il partage son lit.

Il reste installé ainsi pendant plusieurs heures après avoir éteint son réveille-matin, seul mouvement qui l’a sorti de sa torpeur jusque-là. Il a pourtant entendu le téléphone sonner à trois reprises, ce qui est plus souvent que dans les six derniers mois réunis, mais il n’a pas réagi. Il sait qu’il n’aurait eu droit qu’au sarcasme d’une secrétaire de la banque ne remplissant que son travail en déplorant son absence, mais si c’était Eva?

Cette nouvelle perspective le rend nerveux. Il finit tout de même par se lever, prend délicatement le pendentif sur l’oreiller qu’il dépose sur la table de cuisine et s’applique avec ordre et rigueur à sa routine quoti-dienne.

Monsieur Coton a pris une décision pendant la nuit : il croit devoir laisser aux lois du hasard le soin de remettre ou non le pendentif à sa propriétaire. Il va donc le porter devant elle.

Comme à l’habitude, il s’habille de son éternel costume gris, mais plutôt que de mettre un nœud papillon, il pousse l’audace à laisser le dernier bouton de sa chemise ouverte d’une manière presque impudique. Il attache ensuite le pendentif d’Eva-Nescencia à son cou et le voilà prêt… prêt à affronter les dieux… du moins, sa déesse...

Il imagine déjà la scène au moment où il se rendra au restaurant à son heure habituelle. Il adoptera une attitude posée, et surtout observera les moindres réactions de la jeune femme. Si Eva découvre alors le pendentif à son cou, il va simplement lui sourire et lui remettre son précieux bijou. Il a même déjà préparé une éventuelle explication qu’il ne cesse de répéter dans sa tête:

« Vous savez que j’aime bien le calcul et en général, je compte le nombre de pas qui me sépare d’un endroit à un autre, bien que parfois, je change ma routine en calculant plutôt le nombre de dalles de ciment sur les trottoirs… C’est justement ce que j’avais décidé de faire hier en retournant vers mon travail… J’avais la tête penchée vers le sol et c’est là qu’au coin de la rue, j’ai soudainement aperçu un bijou qui dépassait à peine d’un amas de feuilles mortes… J’ai cru à une blague, car je n’ai jamais rien trouvé dans ma vie… Je me suis alors penché pour le ramasser en feignant d’attacher mon soulier et là, j’ai tout de suite su que s’était votre pendentif… J’ai voulu aller vous le remettre tout de suite, du moins, j’y ai pensé, mais en consultant ma montre, je me suis aperçu que je n’aurais certainement pas le temps d’arriver à l’heure à mon bureau… J’ai effectivement un emploi du temps très chargé et surtout bien planifié, mais c’est un détail dont je vous reparlerai un jour… Bref, je savais que si je retournais au restaurant, je n’aurais pas le temps de retirer délicatement ma veste et de remplir mon verre d’eau avant 2h30, heure où je dois recommencer mon travail… J’ai donc décidé de venir vous le porter à la fermeture de la banque… Malheureusement, j’ai oublié et ce matin, en vidant mes poches, je vide toujours mes poches avant d’aller porter mon complet chez Madame Bataclan, vous savez la blanchisseuse…

Oui… c’est bien elle…

Alors je vide donc mes poches, car j’ai peur d’y oublier un bonbon, de toute manière je ne mange jamais de bonbon, mais un accident est si vite arrivé, je disais donc qu’en vidant mes poches, j’ai trouvé votre pendentif et j’ai décidé de vous faire une surprise en le portant à mon cou ce midi… »


(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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