D’un élan spontané, Cédrika sortit une marguerite d’un de ses bouquets et l’offrit à Octavio. Les yeux du poète se mirent à briller de cette curieuse lumière intérieure que l’on retrouve parfois dans le regard de ceux qui savent donner une valeur particulière aux gestes les plus simples. C’était la première fleur qu’on lui offrait depuis des années.
(suite)
*
Le vieil homme se réveilla courbaturé de s’être endormi sur le divan du salon. Il n’avait aucune notion de l’heure, ni de combien de temps il avait pu flotter sur la lumière éthylique des souvenirs de sa femme. Son réveil fut d’autant plus brutal lorsqu’il réalisa qu’il était seul dans la noirceur complète de la pièce. Les chandelles avaient rendu l’âme depuis longtemps, mais Jacquot chantait toujours. Sa voix ne fit cependant qu’accentuer un peu plus cette sensation de vide qui était maintenant le lot de tous ses réveils, comme si son esprit prenait toujours un peu plus de temps que le corps à se résoudre à l’inévitable distorsion entre la volubilité de ses rêves et l’amer silence de sa réalité.
Il tenta de se lever, mais son corps refusa de coopérer. Chacun de ses muscles essayait vainement de combattre l’intoxication à l’absinthe, mais il fut incapable de bouger pendant un long moment. Il laissa donc ses yeux s’habituer à la noirceur et fit l’effort de visualiser chaque objet pour leur donner une certaine réalité que seul son esprit était en mesure de se représenter. Il eut alors l’impression de voir sa femme partout dans la pièce. C’était son ombre à elle qui dansait au milieu du salon sur l’air de la valse à trois temps. C’était son ombre à elle qui arrosait les plantes qui depuis son départ, n’étaient plus qu’un amas de tiges jaunâtres. C’était son ombre à elle qui lui prenait la main doucement pour l’inciter à la suivre vers la chambre.
Son ombre à elle...
à elle…
Le vieil homme alluma alors une allumette pour laisser à ses yeux le temps de s’habituer à cette cruelle réalité et c’est là qu’il vit l’heure sur sa montre, mais surtout la date. Il avait dormi pendant une vingtaine d’heures consécutives et il était sur le point de manquer son seul et unique rendez-vous quotidien.
Le gardien du cimetière s’apprêtait à fermer la grille de l’endroit comme il le faisait tous les soirs à 20h00 lorsqu’il entendit une voix l’interpeller au loin. C’était le vieil homme qui arrivait vers lui au pas de course. Il eut de la difficulté à le reconnaître sans son imper-méable et en voyant son visage qui n’était plus qu’un amas de stigmates, mais sans même écouter ses explications, il le laissa entrer et ferma la grille derrière lui. « Vous n’aurez qu’à me faire signe quand vous serez prêt à sortir… Je vais me préparer une soupe… Il fait un de ces froids ce soir… » Le gardien entra dans une petite maison qui avait plutôt l’air d’un cabanon de jardinier et laissa à son fidèle visiteur le soin d’aller retrouver sa bien-aimée.
*
Il était un peu plus de minuit lorsque Cédrika cogna à la porte du café où sa meilleure amie travaillait. L’endroit venait de fermer, mais les lumières y étaient encore allumées.
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!