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jeudi 1 juillet 2010

Le poids des ombres (page 32 à 35)


Lui aussi avait rêvé d’étoiles. Il en avait même visité plusieurs avec elle, mais il pesta une fois de plus contre sa vieille mémoire qui n’arrivait plus à conserver intact la beauté de tous ses souvenirs.

*


(suite)

Il était midi quand le vieil homme réalisa que sa marche l’avait mené en plein cœur du centre-ville. Il n’avait jamais particulièrement aimé cet endroit, mais depuis un certain temps, il s’était mis à apprécier de plus en plus cet étau artificiel qui rendait les gens singuliers. Les cloches d’une église résonnaient bruyamment de ses douze coups lorsqu’il entra dans un petit square où des personnes s’entassaient déjà par dizaines pour manger et profiter de cette splendide journée.

— Je crois que je n’oublierai jamais cette belle mélodie…

Le vieil homme se retourna, interpellé par cette voix qui semblait s’adresser à lui. Octavio avait la tête plongée dans le bleu du firmament comme s’il regardait s’évaporer chaque note qu’orchestrait le carillon. Il s’empressa toutefois de sourire à celui qui regardait maintenant dans la même direction que lui et poursuivit son monologue.

— J’aime beaucoup imaginer les chemins particu-liers que prend la musique en nous… Elle se laisse probablement influencer par nos états d’âme autant que par les buildings sur lesquels elle use des plus inconcevables contorsions avant de venir faire vibrer nos tympans… C’est un peu comme notre mémoire… Les deux hommes échangèrent un regard. Je me présente, Octavio, poète urbain et marchand de fleurs… Vous êtes Monsieur Chrysanthème je suppose…

Le vieil homme resta sans mot devant la désinvolture de celui qui venait de se présenter à lui et qui venait de lui donner le nom d’une fleur. S’il avait su…

— Je ne vous dis pas ça comme un fleuriste puisque je ne le suis pas, mais plutôt comme celui qui sait reconnaître la couleur des hommes… Tenez, celles-ci sont pour vous…

Octavio lui offrit une branche de fleurs blanches identiques à celles que sa femme avait si souvent rapportées à la maison. C’était ses préférées…

Il fut ébranlé par le geste du poète, mais lâcha aussi tôt la branche comme un tison qui lui aurait brûlé la main.

— Je suis allergique, finit-il par dire d’un ton glacial.

— Ce n’est rien, les fleurs, c’est comme la musique… Il faut parfois apprendre à se laisser apprivoiser par elles… Octavio ramassa la branche et porta à nouveau son regard vers le ciel. Vous savez, je viens ici depuis des années et chaque jour, j’entends ces mêmes cloches résonner à midi, mais aujourd’hui, elles l’ont fait aussi pour vous et c’est déjà assez pour affirmer leur différence…

Le vieil homme resta sans mot. Il éprouva toutefois une curieuse sensation de sérénité aux côtés de cet homme qui ne semblait pas le juger.

― C’est la première fois que je vous vois ici, vous êtes du coin? Lui demanda Octavio.

Le vieil homme qui n’avait plus l’habitude de parler sentit toutefois le besoin de s’ouvrir un peu à cet inconnu.

― Je suis du nord de la ville, mais le hasard m’a mené ici cet après-midi…

― Le hasard… Vous y croyez vraiment?

Et pourtant…

Le poète sombra un moment dans un silence qui à lui seul, renfermait toute la cacophonie de son passé. Il se secoua un peu et poursuivit la conversation.

- Moi je préfère croire que la vie est un perpétuel croisement de chemins où nous avançons plutôt que de tout lier aux simples lois du hasard, lui dit-il. Le seul problème, c’est que nous devons avancer à l’aveugle… La route est pourtant devant nous, mais sa lumière absolue ne nous permet pas de voir ce qui vient en avant… Nous avons donc appris à avancer en observant toujours dans nos rétroviseurs et c’est souvent quand les choses sont derrières nous que nous prenons conscience de leur beauté, de leur fragilité, mais aussi du fait qu’elles ne sont plus que des souvenirs…

― C’est déprimant votre vision de la vie… Il ne reste plus alors que l’ombre des choses si j’ai bien compris votre raisonnement, lui répondit le vieil homme.

― Je crois plutôt que l’ombre est simplement le décalage de la lumière, ou plutôt la manière de celle-ci de se reposer un instant… Octavio ne put s’empêcher de sourire en voyant la tête du vieil homme qui ne semblait plus rien comprendre à son charabia. Désolé si je suis un peu philosophique… Vous allez me prendre pour un vieux sénile, lui dit-il en riant.

― N’ayez crainte, s’il y a quelqu’un de fou entre nous deux, je ne parierais pas sur vos chances de l’emporter… Allez! Je vous laisse avant de me mettre à éternuer avec vos fleurs…

― Vous avez très bien résisté je trouve… Comme quoi tout est une question de conditionnement et non de hasards… Revenez me voir si vous êtes dans le coin, je suis souvent ici et je vous jure que la prochaine fois, je vous parlerai des résultats sportifs…

Le vieil homme tendit timidement sa main au poète pour le saluer, puis avant de quitter, il prit son appareil photo et pointa l’objectif en direction du mur où se reflétait l’ombre du clocher.

*


(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...

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