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mardi 29 juin 2010

Evanescence (page 28 à 31)


Comme la banque ferme plus tôt le vendredi, Monsieur Coton décide de profiter de ce temps additionnel pour s’offrir une petite folie qui va selon lui, concrétiser la décision qu’il a prise un peu plus tôt. Il veut ainsi marquer son retour à une vie normale.

Il marche lentement le long du Faubourg Saint-Antoine tout en fouinant du regard dans les vitrines des commerces. Il s’arrête un moment à la Bastille, et continu finalement sa marche sur la rue Rivoli où il entre dans une des annexes des galeries de la Samaritaine.

Monsieur Coton n’a pas l’expérience des grands magasins. Il panique devant cette surabondance de marchandises et de couleurs. Son cœur débordant d’envies bat au rythme d’un bateau pris dans une fulgurante tempête. Pour ajouter à son angoisse, il réalise qu’il ne se trouve pas dans le bon département. Des mannequins féminins lui offrent les dernières tendances parisiennes du prêt-à-porter et il ne peut s’empêcher d’imaginer Eva-Nescencia dans toutes ces robes de soirée plutôt que dans l’uniforme austère qu’elle porte à son travail. Il sait cependant que cette femme transcende sur tout ce qui l’entoure, peu importe les vêtements qu’elle pourrait porter.

Monsieur Coton accélère le pas. Il cherche à fuir le tourbillon qui creuse des sillons de plus en plus profonds dans son esprit. N’est-il pas venu ici pour célébrer sa décision d’oublier cette jeune femme?

Après maintes recherches et ne voulant pas manquer son jeu télévisé, Monsieur Coton jette son dévolu sur un magnifique peignoir molletonné de couleur gris. Le sien date de plus de vingt ans et il a malencontreusement égaré la ceinture quelques années plus tôt en le portant à la blanchisserie. Depuis, ce vêtement lui a toujours laissé un goût amer d’imperfection.

Monsieur Coton se sent heureux à sa sortie du magasin. Il va même pousser l’audace jusqu’à prendre le métro pour retourner à la maison. Il déteste pourtant se retrouver dans une foule entassée, lui qui préfère généralement la marche, mais cette fois-ci, ses caprices de la journée l’ont mis en retard.

***

Le lendemain midi, Monsieur Coton ne va pas luncher au « Gargantuesque » pour la première fois depuis plus de dix ans. Il s’arrête plutôt dans une petite boulangerie et commande un « jambon beurre » qu’il va manger, assis inconfortablement sur un banc d’où il peut tout de même observer la devanture du restaurant. Il regarde ainsi défiler les clients pendant plus d’une heure sans réussir à apercevoir celle qu’il cherche pourtant à fuir avec détermination.

De retour au travail, il se sent fier de lui, fier d’avoir su résister aux pulsions qui le poussaient inéluctablement vers ce restaurant.

Monsieur Coton réussit finalement à passer au travers de cette première journée malgré le grand chambar-dement de ses habitudes. Ne lui reste plus qu’à choisir un nouveau restaurant pour déjeuner afin d’arrêter de jouer aux espions et ainsi, se donner toutes les chances, du moins l’illusion, qu’il finira par l’oublier…

Il quitte son bureau à 19h00, fin prêt dans sa tête à savourer son dimanche matin chez les bouquinistes. Monsieur Coton vibre déjà à l’idée d’y trouver une vieille édition d’un de ces auteurs préférés ou qui sait, de se laisser encore tenter par un vieux livre bordé d’or de la collection Pléiade.

« Il fallait bien qu’un visage réponde à tous les noms du monde »

Monsieur Coton se souvient de certains passages marquants du recueil de poésie de Paul Eluard qu’il est en train de lire depuis deux jours.

Alors qu’il entre dans la blanchisserie afin de récupérer son habit, toujours imprégné par la phrase troublante du grand poète, la légère pression d’une main derrière son dos le fait sursauter.

Bonjour Jean! Vous n’êtes pas venu déjeuner ce midi?

Elle est là, lumineuse, Eva-Nescencia, vêtue de toute sa bienveillance à lui sourire comme elle seule sait le faire. Monsieur Coton croit défaillir. Il se sent lentement tiré vers une sorte de trou noir sans avoir la force de résister.

— Je… suis désolé Mademoiselle Eva…

— J’avais réservé votre table et je vous attendais!

— Sûrement demain, lui dit-il dans un état de panique évident.

Instantanément, il oublie le temps présent, et surtout que le lendemain c’est dimanche.

— Vous semblez heureusement en pleine forme… On m’a dit que c’était probablement la première fois qu’on ne vous voyait pas au restaurant ce midi… J’espère que tout va bien pour vous…

Eva-Nescencia l’a encore une fois appelé par son prénom, elle a pensé à lui, elle s’est inquiétée pour lui. Profondément troublé, il quitte rapidement la boutique de madame Bataclan en bredouillant un timide bonsoir à la jeune femme.

C’était beaucoup trop de hasards d’un seul coup pour qu’il ne puisse en tenir compte. C’est à ce moment que lui revint en mémoire la célèbre phrase prêtée à Jules César dans les « Douze travaux d’Astérix »

« On ne peut se battre contre des dieux! »

Monsieur Coton décida donc d’oublier un peu pour une fois les structures mathématiques qui guidaient toujours ses moindres gestes, et de faire confiance à une sorte de proposition du destin.

Lundi, il allait la revoir.

Il sentit aussitôt une extase sans doute semblable à celle du fumeur qui embrasse sa toute première cigarette après avoir arrêté de fumer depuis longtemps.

« Il fallait bien qu’un visage réponde à tous les noms du monde »

Cette phrase à elle seule valait la peine qu’il se détourne quelque peu de sa route. Le hasard de cette rencontre combiné aux paroles de la jeune femme firent en sorte que pour la première fois de sa vie, Monsieur Coton venait de décider d’écouter l’autre voix de sa conscience.

(À suivre)

* Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase.
Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister...
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Ben

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