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vendredi 6 août 2010

La part des ombres (86 à 89)


Octavio ferma son livre, salua discrètement les pigeons en retirant son chapeau et en inclinant un peu la tête, puis il sortit une fleur de son sac qu’il déposa avec douceur sur l’eau de la fontaine. Il regarda son faux nénuphar s’éloigner un moment, puis quitta à son tour le parc par un des nombreux sentiers de gravier.


(suite)

*


Il faisait chaud dans la maison du vieil homme. Beaucoup trop chaud pour utiliser le fourneau, mais celui-ci était pourtant au beau milieu de sa cuisine à tenter pour la troisième fois de réussir un gâteau au chocolat. Les fenêtres ouvertes faisaient danser les rideaux de même que les pages du vieux livre de recettes de sa femme dont les explications lui apparais-saient aussi clairement qu’une série de hiéroglyphes sur l’Égypte ancienne. Le vieil homme ne se souvenait pas du jour où il avait tenu une casserole dans ses mains. Il aurait pu facilement démonter et remonter n’importe quelle caméra, mais la cuisine avait toujours été le château fort de celle avec qui il avait partagé sa vie et il avait respecté cette frontière.

Il aimait beaucoup par contre y boire un verre de vin en sa compagnie et écouter du Chopin alors qu’elle cuisi-nait, mais ses connaissances gastronomiques s’arrêtaient là. Il était cependant devenu un expert dans l’art de goûter tout ce qu’elle préparait. Il piqua donc plusieurs colères au cours de cet après-midi caniculaire en tentant l’impossible.

Malgré deux essais infructueux, il usa de toute sa maigre patience pour entreprendre une dernière tentative même si la chaleur de la pièce était devenue carrément insupportable.

« C’EST QUOI DE LA POUDRE À PÂTE? », dit-il rageusement en ouvrant chacune des armoires de la cuisine en quête de cette poudre magique qui était probablement à l’origine de ses insuccès. Le vieil homme se sentait beaucoup trop orgueilleux pour aller sonner chez un voisin et lui poser la question. On lui aurait certainement diagnostiqué un début d’Alzheimer et comme il savait à quelle vitesse voyageaient les nouvelles dans son quartier, il décida de faire à sa tête et de remplacer la poudre à pâte par quelques cuillères de sucre en poudre. Il mélangea tous les ingrédients puis s’installa devant la mini fenêtre de son fourneau pour voir en temps réel la progression de son chef-d’oeuvre.

C’est longues heures de travail lui permirent toutefois d’oublier la raison principale qui l’avait poussé à entreprendre une telle expérience.

C’était la première fois depuis quarante-huit ans qu’il allait fêter son anniversaire de naissance sans elle…


*


Je voulais travailler un peu sur ma thèse cette nuit, mais les idées ne viennent pas. J’ai essayé de relire un peu Proust, puis j’ai lâché prise et j’ai plutôt opté pour une bande dessinée de Calvin & Hobbes, mais rien n’est arrivé à sortir Cédrika de mes pensées. Je sens qu’un embâcle s’est formé en moi et qu’il fait constamment gonfler toutes mes craintes. Elle était pourtant tellement belle aujourd’hui quand elle préparait ses bouquets de fleurs à l’ombre d’un arbre, mais…

C’est ridicule de voir à quel point ce foutu mot peut se glisser à la fin de chacune de mes phrases en ce moment. « Mais… »

C’est comme si j’alimentais volontairement le panier percé de toutes mes questions qui restent toutefois sans réponse.

Ai-je peur d’elle à ce point?

Ou est-ce la peur de lâcher prise et de me fracasser à nouveau comme un cœur de cristal qui cède sous le poids de sa démesure pour se retrouver en miette au pied de l’arbre de son existence?

Elle est pourtant si lumineuse…

Bah…

Je ferais mieux d’aller dormir plutôt que de tourner en rond.

Qui sait, peut-être trouverai-je refuge dans les voies du sommeil en relisant quelques pages du roman de Vincourt.

« J’ai toujours été touché par la beauté monas-tique qui l’entourait quand elle étudiait. C’était comme si elle se laissait totalement emporter par la plénitude d’un livre, peu importe son contenu. La neurologie était son champ d’action, mais même dans ce genre d’exposés très technique, elle semblait à même de voyager à travers les mots. J’adorais alors la regarder en silence et voir son visage se parsemer d’étincelle comme de minus-cules taches de lumière qui s’estompaient graduel-lement pour laisser leur place à de nouvelles.

Nous passions donc beaucoup de temps à lire côte à côte, elle, avec ses synapses, moi, avec mes ombres et tous ces mots que je rêvais incons-ciemment de lui écrire.»


*


(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

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