
Je suis resté un long moment assis sur le banc, incapable de cesser de sourire. Les pigeons sont alors revenus plus nombreux de même que les écureuils qui n’ont bientôt laissé qu’un vague souvenir de cette si douce folie.
(suite)
*
Le vieil homme avait encore une fois perdu sa partie d’échec, mais il se sentait toutefois un peu plus léger qu’à son arrivée au square.
Il retournait lentement vers chez lui lorsqu’il décida d’emprunter une ruelle plutôt que d’utiliser les rues comme il le faisait depuis le départ de sa femme. Il avait pourtant toujours préféré l’ambiance de ces chemins mal éclairés où on pouvait sentir le véritable pou de la ville, mais depuis la mort de sa douce, plus rien n’était comme avant.
Il appréciait toutefois de plus en plus la présence d’Octavio avec qui il jouait aux échecs. Il aimait surtout écouter ses histoires, comme si celui-ci le guidait à travers les traces de ses propres souvenirs tout en lui laissant la chance de les comparer aux siens. Le vieil homme aurait probablement aimé lui aussi être en mesure de laisser transparaître ses couleurs du passé avec cette même légèreté, mais ses couleurs à lui ne pouvaient être exprimées en ce moment qu’à travers l’infime frémissement que lui apportait sa mémoire. C’était sa manière de protéger ses souvenirs qui le hantaient plus souvent qu’autrement, mais dont la présence lui donnait tout au moins l’impression d’exister sporadiquement.
Le vieil homme observait les mouvements de son ombre lorsqu’un chat tigré avec une tache blanche sur le poitrail attira son attention. Celui-ci était couché en plein milieu de la ruelle et tourna légèrement la tête vers lui lorsqu’il passa à ses côtés. On aurait dit un roi devant ses sujets, mais le vieil homme crut plutôt reconnaître le matou de sa mère. La ressemblance était stupéfiante. On aurait dit Chopin, le chat qu’elle avait eu pendant plus de quinze ans et qu’il avait dû faire euthanasier lorsqu’elle n’avait plus été en mesure de se souvenir de son propre nom. Il avait alors décidé de prendre les choses en mains en apportant le chat chez le vétérinaire, puis sa mère dans un centre où on assistait les patients atteints d’Alzheimer. À cette époque, la vieille dame ne reconnaissait pratiquement plus son fils unique, mais elle eut tout de même la lucidité de le traiter d’assassin lorsque celui-ci la laissa aux mains d’une infirmière sans son fameux Chopin.
*
Cédrika venait tout juste de terminer de confectionner ses bouquets lorsque Octavio se présenta au kiosque.
─ Désolé de vous déranger mademoiselle, mais vous n’auriez pas une de ces orchidées comme celle que vous portez si joliment à l’oreille?
─ C’est que ces fleurs monsieur sont beaucoup trop précieuses pour être offertes ainsi sans modération… Celle-ci m’a justement été offerte par un prince et je n’ai pu m’empêcher ce midi de m’en couronner en son souvenir, lui dit la jeune femme avec une allégresse qu’elle ne pouvait contenir.
─ Mais je croyais que les reines n’avaient pas besoin de tels attributs pour souligner leur beauté…
─ Hélas oui Monsieur… C’est le mauve de la fleur que le courtisan voit et qui donne l’impression que celle qui la porte n’est pas déjà en train de se faner…
─ Croyez-moi, lui dit-il, cette fleur n’est qu’une étoile de plus dans le firmament qui vous entoure…
Cédrika fut encore une fois charmée par la métaphore de son poète préféré.
─ Cessez tout de suite vos extravagances Monsieur… Vous allez encore une fois intimider la pauvre jeune femme que je suis…
─ N’empêche que cette fleur est très jolie, dit-il en retrouvant sa personnalité habituelle. J’imagine que ça vient de Gabriel?
Cédrika n’eut même pas besoin de répondre.
─ Vous auriez dû voir la belle surprise qu’il m’a faite… Je me suis levé ce matin pour aller faire mon jogging avant mes cours et en sortant, il y avait un plan d’orchidée à ma porte et un petit mot… Je n’avais encore jamais reçu une plante en cadeau, mais comment a-t-il pu deviner que c’était de loin ma fleur préférée?
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!
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