
Le vieil homme ressentit un certain réconfort dans les propos du poète. Il ne se connaissait pas depuis long-temps, mais il sentait que cet homme était peut-être en mesure de calmer un peu ses tempêtes comme la photographie l’avait fait durant tant d’années.
(suite)
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Cédrika se coucha à même le plancher pour se blottir contre sa petite Canaille qui se prélassait dans un carré de soleil. Le chaton releva paresseusement la tête vers sa maîtresse et se mit aussitôt à ronronner contre son corps. La jeune femme avait justement besoin de la simplicité de ce ronronnement, besoin de s’évader d’elle-même un instant et de toutes ses remises en question qui l’assaillaient depuis un certain temps. Elle n’appréciait pas particulièrement l’hiver, mais elle aurait aimé à ce moment être projetée dans le silence opaque d’une tempête de neige en montagne. Sentir cette lourdeur extérieure qui n’aurait pu qu’alléger le poids de sa conscience. Il se passait beaucoup trop de nouveaux événements dans sa vie actuelle pour qu’elle puisse y voir claire, surtout depuis la maladie de sa mère.
Gabriel, le théâtre et le chant, étaient pourtant des éléments lumineux qui lui donnaient le goût d’avancer, mais en contrepartie, la voix de l’adolescente continuait de résonner en elle. Une voix qui vibrait dans l’ombre de son père… Une voix qu’elle avait souvent voulu oublier, mais qui dans les faits, cherchait toujours la reconnaissance de celui-ci.
Comment aurait-elle pu alors s’affirmer autrement que dans une quête de perfection dans tout ce qu’elle entreprenait pour ne pas le décevoir. Et comment pouvait-elle maintenant rêver à un métier qui avait brisé celui qu’elle avait tant admiré?
Comme bien des artistes, son père ne l’avait pas toujours eu facile et sa carrière de comédien s’était lentement mis à décliner. Il sombra alors dans une sorte de dépression qui le rendit de plus en plus amer envers un métier qui lui avait pourtant permis d’exister. La blessure fut d’autant plus profonde qu’il dut se trouver un emploi régulier pour faire vivre sa famille décemment. Ses rêves s’envolèrent ainsi en fumée et il se mit peu à peu à mépriser le théâtre comme toutes les autres disciplines artistiques qu’il jugeait maintenant fastidieuses. Ce fut une période difficile pour toute la famille et critique pour l’émancipation de Cédrika qui voyait son plus grand rêve obscurci par l’amertume d’un père qu’elle n’avait jamais voulu décevoir. Sa sœur décida alors de se rebeller violement contre l’autorité parentale, mais Cédrika n’eut pas ce courage. Elle se rebella à sa manière, mais sans jamais oser se confronter à lui, ni à elle-même.
Canaille s’étira langoureusement et ses pattes effleu-rèrent le visage de la jeune femme qui sortit aussitôt de son demi-sommeil. Elle aurait aimé à ce moment se trouver en compagnie de Gabriel, sentir sa joie de vivre contagieuse, voir son sourire lumineux et éprouver la douceur de son regard quand il la regardait comme une oeuvre d’art. Elle réalisa en fait pour la première fois qu’elle s’ennuyait de lui beaucoup plus qu’elle aurait pu s’imaginer. Elle eut alors l’idée de lui faire une surprise.
Quelques instants plus tard, Cédrika quitta son appartement avec l’emportement d’une petite fille en apportant avec elle un pot de beurre d’arachide et une immense spatule de bois. Elle se dirigea aussitôt vers le parc où ils avaient l’habitude de se rencontrer.
*
« Je vous souffle mille et un baisés… »
Je me sens complètement emporté en ce moment par ces quelques lettres qui ont été dessinées directement sur le gazon. Je suis venu cet après-midi au parc comme à tous les jours pour y trouver l’inspiration et c’est rendu près du banc où j’adore venir écrire que j’ai pu voir ce curieux attroupement de pigeons et d’écureuils qui semblaient profiter d’un festin particulier. Je me suis approché un peu, mais ma présence à ce brunch n’a paru surprendre aucun des invités. Tout au plus, ils ont tourné la tête vers moi comme on le fait poliment dans un de ces banquets mondains, mais j’ai tout de suite senti leur désintérêt total à mon égard. Ils étaient uniquement là pour profiter du buffet. Je n’ai pas compris tout de suite de quoi il s’agissait, mais à même le gazon, j’ai vu des marques qui semblaient former des lettres. Des lettres qui à force d’insister auprès des convives, formaient un message dont j’étais curieusement convaincu qu’il m’était destiné.
Connaissant la pureté reconnue de leur oreille musicale, je me suis alors mis à chanter le plus fort que je pouvais pour essayer de les disperser un peu. Les pigeons se sont instantanément envolés d’un trait pour se poser quelques mètres plus loin. Les écureuils pour leur part me connaissent trop bien et ont été plus réticents à partir, mais voyant mes efforts démesurés pour les distraire et ne pouvant supporter plus longtemps ma voix à laquelle j’avais ajouté une curieuse chorégraphie, ils se sont tous dirigés vers les arbres les plus proches. Les lettres étaient bien là, tracées minutieusement avec du beurre d’arachide et à cet instant précis, la terre aurait pu s’arrêter de tourner que je ne l’aurais même pas remarqué.
« Je vous souffle mille et un baisés… »
Je suis resté un long moment assis sur le banc, incapable de cesser de sourire. Les pigeons sont alors revenus plus nombreux de même que les écureuils qui n’ont bientôt laissé qu’un vague souvenir de cette si douce folie.
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!
je me délecte de la douceur de tes mots...
RépondreEffacerpourtant je ne suis pas un écureuil :)
Nathalie
:)
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