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mardi 10 août 2010

La part des ombres (96 à 99)


Ce matin-là, quand je me suis réveillé et que son sommeil l’avait emporté bien loin, j’ai pris sa main et je l’ai serré de toutes mes forces pour aller la rejoindre… Je n’ai toutefois pas eu le courage d’aller plus loin et je m’en veux très souvent de cette lâcheté car je me dis qu’à ce moment-là, il n’était peut-être pas trop tard pour la retrouver…

― Et vous croyez vraiment l’avoir perdu?


(suite)


*


Cédrika aurait bien aimé voir Gabriel cet après-midi-là. Elle aurait surtout aimé se laisser transporter par son éternel sourire et oublier tout le reste, mais celui-ci ne lui avait malheureusement laissé aucun message depuis la veille. Malgré la beauté du temps, elle sentait qu’une profonde tristesse venait d’imposer sa noirceur sur les si beaux moments qu’elle avait vécus depuis une semaine.

Elle avait bien tenté de se faire remplacer au kiosque, mais aucun des autres employés n’était disponible. Cédrika se présenta donc comme à l’habitude vers 16h00, espérant trouver un certain réconfort parmi les fleurs et surtout au près d’Octavio.

Celui-ci était déjà sur place et écrivait à l’ombre d’un tilleul. C’était la première fois qu’elle le voyait ainsi, complètement absorbé par autre chose que le regard de ceux et surtout celles à qui il offrait ses fleurs. Ce contemplateur de l’éphémère comme il aimait se présenter avait l’habitude de voyager très vite entre l’instant présent et tous les souvenirs auxquels il se rattachait, mais cette fois-ci, on sentait qu’il n’avait eu besoin d’aucun public pour le transporter là où il pouvait la retrouver.

Cédrika prit un instant pour observer cette si belle quiétude dans laquelle elle aurait voulu elle-même se trouver, puis elle s’approcha de son ami pour le saluer.

— Bonjour, dit-elle d’une petite voix ténue.

Elle eut alors la curieuse impression de voir un ange s’envoler. Octavio la regarda un moment sans lui répondre comme pour laisser le temps à ses propres yeux de s’habituer à cette trace lumineuse qui entourait la jeune femme et qui s’évapore lentement des êtres quand le soleil est trop aveuglant.

— Mais c’est ma jolie reine… Je suis tellement heureux de te voir… Comment vas-tu ma belle? Lui dit-il en se levant.

Il n’en fallut pas plus pour que la jeune femme se réfugie précipitamment dans les bras du poète. L’ombre de la douleur trouve souvent une manière bien à elle de vouloir se dissimuler au regard de ceux qui savent si bien la ressentir, et quoi de mieux qu’une épaule pour ainsi cacher son désarroi, et même parfois, s’en libérer un peu. Octavio la sera contre lui, puis il se mit à lui parler tout doucement, sans chercher à voir les yeux de la jeune femme qui se libéraient silencieusement de ce chagrin qui l’assaillait depuis la veille.

— Qu’est-ce qui se passe Cédrika?

Rien de grave j’espère…

La jeune femme se mit à rire tout en continuant de verser des larmes qu’elle tentait d’essuyer du revers de sa main.

— Excusez-moi! Vous allez encore me trouver ridicule avec ma sensibilité à fleur de peau… C’est ma mère, dit-elle en prenant une grande inspiration. Ses lèvres se mirent à trembler comme si les mots venaient à nouveau de se coincer sur celles-ci. Elle ne va pas bien, finit-elle par lui dire. Une grave maladie que les médecins ont heureusement diagnostiquée avant qu’il ne soit trop tard, mais ce combat ne sera pas du tout évident pour elle… Ils ne lui ont donné aucune garantie…

Octavio eut un violent pincement au coeur en entendant la nouvelle. De sombres souvenirs qui seraient toujours trop frais dans sa mémoire. Il reprit toutefois son souffle et poursuivit la discussion.

― Tu sais, la médecine fait des miracles de nos jours, mais c’est plus souvent qu’autrement en nous qu’on trouve la force de vaincre une maladie… Ta mère va avoir besoin de toi…

― Je sais… Elle m’a dit pratiquement la même chose au sujet de la médecine pour me réconforter, mais encore là, ce n’était pas moi qui devais être consolé, c’était elle… Je me suis tellement détesté hier soir alors que j’aurais dû être en mesure de l’aider et d’être là pour elle comme elle l’a toujours été pour moi et ma sœur… Je suis beaucoup trop émotive…

― On ne l’est jamais trop Cédrika… Et même si tu es incapable de saisir la forme que prend ta compassion, les autres le sentent et ça, c’est ce qui a de plus précieux pour ceux qui t’aiment…

― Moi aussi je l’aime… Je n’ai pas toujours été évidente avec elle et j’ai toujours été un peu plus proche de mon père… Disons que ma mère faisait souvent figure de tableau dans la maison, mais plus le temps avance, plus je réalise à quel point ce tableau était important pour nous tous… Nous sommes tellement pareil elle et moi… Je crois même que c’est la princi-pale raison qui fait en sorte que c’est toujours mon père qui s’est imposé dans ma vie… Comme si j’avais constamment eu besoin de le confronter tout en essayant d’être parfaite à ses yeux pour me prouver qu’il m’aimait alors que je n’ai jamais eu à douter de l’amour de ma mère… La jeune femme se calma peu à peu. Ma pauvre maman est bien seule avec sa maladie… Si vous saviez à quel point je pouvais ressentir sa peur hier quand elle m’a annoncé la nouvelle avec une sorte de rire nerveux dans la voix pour essayer de désamorcer le choc… Et le pire, c’est que c’est moi qu’elle a dû consoler ensuite comme une petite fille… Je n’ai pas arrêté de pleurer de la soirée et je n’ai surtout pas réussi à l’aider…

Octavio ne put s’empêcher de penser à Gaïa qui sur son lit d’hôpital, lui avait murmuré, « Je te pardonne » quelques secondes avant de fermer les yeux pour la dernière fois afin de tutoyer l’éternité…

Lui, il ne s’était jamais pardonné sa lâcheté.


(À suivre)

Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!

3 commentaires:

  1. :( j'ai la gorge serrée.. je m'en vais prendre l'air ...
    je me retrouve trop dans Cédrika, un peu trop, sur ces lignes là.
    tu as mis les mots justes, tellement justes...

    Nathalie

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  2. Les mots sont parfois un lien entre notre sensibilité et notre passé... c'est ce qui les rends précieux...

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  3. :) alors merci Ben pour ce partage de biens précieux
    Nathalie

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