
J’ai maintenant la certitude que nous étions l’un pour l’autre des mathématiciens du temps qui savait user de leur science pour diviser et surtout rapprocher l’espace séparant l’avenir, du présent de nos souvenirs.»
(suite)
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Le vieil homme sortit un album de Jaques Brel, puis il choisit d’écouter la pièce « les Bonbons » que sa femme adorait particulièrement. Il alluma quelques chandelles et se servit un doigt d’absinthe dans un verre de glace avec un carré de sucre. Il servit la même chose dans un autre verre pour elle. C’était leur petit rituel intime depuis leur voyage à Prague où ils avaient découvert cet élixir qui permettait selon elle de mieux ressentir les différentes dimensions de la psychologie humaine. Ils avaient alors réinventé le monde et depuis, à chacun de leur anniversaire réciproque, ils renouaient avec cette belle tradition comme s’ils offraient quelques nouvelles couleurs à leurs souvenirs.
« À ta santé ma belle! » dit-il en levant son verre vers le ciel.
Il trinqua plus rapidement qu’à son habitude, puis sans hésitation, il prit celui de sa femme et le but d’un trait. Le vieil homme sentit aussitôt les effets pernicieux de l’absinthe et se mit à écouter la voix de Monsieur Jacques comme elle aimait appeler Brel avec une attention particulière. Il fut touché encore plus qu’à l’habitude par la profondeur de la voix du chanteur et en oublia tout le reste. C’est alors que débuta la chanson des vieux amants et à cet instant précis, il fut convaincu que c’est sa présence à elle et non son sang à lui qui irriguait tout son corps.
Le vieil homme se mit à fredonner le refrain. « Ô mon amour… Mon doux mon tendre mon merveilleux amour… De l'aube claire jusqu'à la fin du jour…
Je t'aime encore tu sais, je t'aime… »
Mais que peuvent bien valoir nos certitudes dans de tels moments de fragilités, allait-il se demander un peu plus tard au cours de cette même soirée. Très peu, aurait-il pu se répondre, si ce n'est qu'elles permettent parfois de croire en quelque chose et par le fait même, de s’y accrocher...
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Le temps s’était passablement rafraîchi au cours de la nuit et on sentait une pointe automnale se profiler dans le bleu acier du ciel. Cédrika était de retour à son travail et se sentait beaucoup mieux que la veille. Elle eut toutefois un pincement au cœur en regardant les immenses tournesols qu’ils avaient reçus et qui annonçaient très bientôt la véritable fin de l’été. Il ne restait plus qu’une quinzaine de jours avant que le kiosque ne ferme ses portes pour profiter du long silence hivernal. C’est dans ce même élan de nostalgie qu’Octavio se présenta pour acheter ses fleurs. Cédrika retrouva aussitôt son sourire en l’apercevant.
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(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!
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