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samedi 16 octobre 2010

La part des ombres (155 à 159)


─ Laisse parler ton cœur… Dis-lui ce que tu viens de me dire… Parle-lui de tes craintes, de ce que tu éprouves, mais si tu veux un conseil, donnez-vous du temps… J’ai appris bien malgré moi que la distance peut séparer des êtres, mais curieusement, elle peut aussi les rapprocher encore plus l’un de l’autre…

Octavio prit le téléphone qu’elle avait déposé sur la table et le tendit vers elle.

─ Aller, du courage!


(suite)


*


« J’ai passé les pires moments de ma vie amoureuse au cours des jours suivants. Des jours qui me parurent des semaines. Je passais alors mes journées dans ma librairie, les yeux braqués sur la porte en espérant la voir entrer comme la toute première fois. Je lisais sans cesse à la recherche du temps perdu, mais il manquait la dimension de son parfum pour exhaler l’odeur des mots de Proust. »

Proust est bien loin de faire partie des préoccu-pations de mon esprit en ce moment. J’essaye de lire depuis des heures pour oublier, mais rien n’est en mesure d’effacer les mots que Cédrika a laissés sur mon répondeur.

« Si tu savais à quel point je suis désolé de mon silence, désolé d’être celle que je suis, désolé de peut-être te faire du mal, mais je crois Gabriel qu’il vaudrait mieux ne plus nous revoir…

Tu as certainement remarqué que je suis incapable de me laisser aller en ce moment… Je ne saurais te dire pourquoi, mais je ne peux pas continuer ainsi… J’ai souvent éprouvé des élans amoureux envers toi, mais ils étaient tout de suite bloqués par une part de moi qui refuse de baisser les armes…

Tu es la personne la plus merveilleuse qui a croisé mon chemin, mais je suis incapable de te rendre cet amour en ce moment…

J’ai peur Gabriel… Peur de nous deux et peur de te perdre en même temps… J’ai tout de même décidé que ce serait mieux d’arrêter tout de suite cette histoire avant que ce ne soit trop difficile… Je sais que je ne devrais pas te dire ça et que tu aurais peut-être voulu l’entendre dans d’autres circonstances, mais je t’aime… Je t’aime Gabriel et cette sensation me tue, car je suis incapable d’aimer…

S'il te plaît, comprend moi et oublie moi… C’est sûrement mieux ainsi… »


*


Malgré la pluie qui n’avait pas cessé depuis trois jours, le vieil homme se présenta au cimetière comme à son habitude. L’ambiance était cependant d’une tristesse poignante alors que les arbres avaient perdu une bonne partie de leur feuillage en quelques heures, laissant ainsi chaque sépulture à leur solitude de pierre. Aucun oiseau ne lançait son chant à travers ce vide que même la pluie ne parvenait pas à combler. Il n’y avait que cette musique mélancolique du ciel qui rendait l’endroit encore plus lugubre qu’à l’habitude. Le vieil homme se mit aussitôt à installer une sorte de tente en plastique au dessus de la tombe de sa femme.

─ Il y a tout de même des limites que même les morts ne peuvent supporter… Tu as vu toute cette flotte… J’imagine à quoi ça doit ressembler en dessous… Une chance que je préfère t’imaginer au dessus, mais je ne prends pas de chance… Tu seras au moins protégé un peu ma belle…

Il se mit ensuite à coller quelques nouvelles photos sur d’anciennes lorsque le faux Chopin bondit sous la tente pour se protéger lui aussi de la pluie. Il se mit aussitôt à faire sa toilette tout en gardant un œil sur le vieil homme qui resta stupéfié par cette nouvelle apparition.

─ Mais qu’est-ce que tu me veux à la fin?

Ça fait plus de vingt ans que toute cette histoire est finie et je ne crois pas aux fantômes… Si j’ai fait ça, c’était pour son bien… Ma mère ne pouvait plus vivre seule dans sa maison avec un chat stupide… Elle n’était plus là, tu m’entends, dit-il en haussant de plus en plus le ton.

Le chat arrêta de se lécher. Ses yeux prirent des reflets mordorés alors que son regard semblait transpercer l’âme du vieil homme qui tremblait de rage. Celui-ci laissa soudainement tomber les photos de ses mains avant de s’effondrer en pleurs comme un enfant.

Cet après-midi-là, il ne prit pas le chemin qui le menait vers le square du centre-ville. Il marcha plutôt très longtemps avant de se présenter devant un édifice qui ressemblait étrangement à un hôpital.

Il n’était pas venu ici depuis vingt et un ans, un mois et cinq jours.

Le personnel de l’endroit remarqua instantanément ce vieil homme trempé qui venait d’entrer et ils crurent même pendant un instant qu’ils avaient à faire à un pensionnaire qui aurait déjoué leur surveillance, mais après quelques questions d’usages, une infirmière lui annonça que sa mère était bien ici, toujours vivante malgré ses 94 ans.

Des larmes se mêlèrent aux gouttes de pluie qui s’écoulaient du visage du vieil homme. On le conduisit alors vers un salon et c’est là qu’un préposé lui montra une chaise berçante qui valsait devant les immenses fenêtres de la pièce. Le vieil homme resta paralysé un long moment devant cette image. Il avança lentement ensuite vers le fauteuil qui semblait suivre le rythme de la pluie qui tambourinait contre les vitres. Il put ainsi voir une tête argentée, mais déjà il savait que c’était elle.

Rendu tout près, le silence fut la seule bouée sur laquelle il put s’accrocher. Elle n’avait tellement pas changé. Le même visage tourné vers le néant, mais qui irradiait de lumière comme si la minceur de sa peau diaphane ne parvenait plus à contenir ce qui avait survécu d’elle. Il prit alors son courage à deux mains et prononça faiblement quelques mots…

─ Maman… C’est moi…

Les yeux de la vieille dame s’illuminèrent d’un coup en se retournant vers lui.

─ Ohhh… s’exclama-t-elle. Est-ce que tu as apporté Chopin avec toi?


(à suivre)

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