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La jeune femme se mit à pleurer silencieusement en proie au déchirement que ressentent parfois ceux qui savent que leur confiance en la vie vient d’être trahie…
(suite)
*
Depuis sa récente découverte, Eva ne voyait plus clair dans ses états d’esprit. Elle était de plus en plus obsédée par l’idée d’avoir à découvrir cet homme qui se cachait derrière l’anonymat de sa signature photographique. Elle ouvrit mentalement l’album photos des membres de son entourage pour peut-être y découvrir le responsable de toute cette supercherie. Ses amis, les gens avec qui elle travaillait, les clients du restaurant, tous furent suspectés, mais pratiquement personne mis à part Monsieur Coton ne connaissait son attachement particulier envers ce pendentif. Elle avait tout de même exclu ce dernier de sa liste de suspects, car toute cette histoire contrastait avec le caractère taciturne et renfermé de son client. Elle ne pouvait surtout pas l’imaginer écrire de la sorte et elle savait en plus qu’il avait peur des avions, qu’il détestait voyager et que de toute manière, sa présence régulière au restaurant l’empêchait de faire de tels déplacements.
Ne trouvant toutefois aucun autre candidat parmi ses connaissances, Eva du élargir le cercle de ses doutes à ceux avec qui elle aurait pu avoir un contact assez proche pour engendrer une telle folie. Mais qui pouvait être assez fous pour entreprendre une correspondance amoureuse d’une telle envergure ?
La réponse lui était certes envoyée de partout dans le monde, mais ce papillon était aussi assez intelligent pour ne pas laisser d’indices autres que ce pendentif qu’il avait bien voulu lui montrer sur photo en guise de signature.
C’est en lisant une nouvelle lettre qu’elle venait de recevoir de Stockholm en Suède, qu’Eva pensa soudainement à son voisin du haut qu’elle appelait communément Casanova. Depuis combien de temps n’avait-elle pas entendu les pas ou les tic tacs de la machine à écrire de celui qui écrivait des lettres d’amour pendant la nuit?
Un passage de la lettre où Papillon la comparait à la beauté magique d’une tempête de neige venait de lui rappeler une image semblable qu’elle avait lue dans une des lettres trouvées dans les ordures de son voisin.
Et si toutes ces lettres d’amour qu’il ne terminait jamais lui étaient adressées à elle…
Peut-être n’avait-il trouvé aucun autre moyen que celui de lui offrir anonymement les plus beaux joyaux du monde pour lui prouver son amour…
N’était-il pas d’une timidité extrême lors de leurs brèves rencontres dans les escaliers entre deux paliers, comme si en la regardant il avait eu peur de trahir son secret…
Eva se mit même à fabuler en s’imaginant qu’il aurait pu aller jusqu’à pénétrer chez elle durant la nuit pour venir lui subtiliser son pendentif...
Était-elle certaine d’avoir porté son précieux bijou la journée où elle croyait l’avoir perdu?
Rien ne lui parut impossible dans ce moment d’excitation.
Eva possédait maintenant une piste et elle se promettait d’aller voir jusqu’au bout. Elle voulait absolument reprendre le contrôle de ce qu’elle avait perdu sur le chemin de son aveuglement.
*
« On est toujours plus vieux qu’on ne le croit, mais aussi plus jeune qu’on ne le pense »
(L’angoisse du roi Salomon)
Il est 8h11… Monsieur Coton marche lentement le long de la rue des Rendez-vous avec son habit à la main. Il vient d’accueillir amèrement la célèbre réplique de sa concierge qu’il n’a pratiquement pas croisée de l’hiver et qui est de retour sur son balcon. Il passe ensuite devant la boîte postale où la veille, il a finalement déposé sa dernière lettre qu’il a écrite pour Eva-Nescencia. Il prend alors une grande respiration en fermant les yeux et poursuit sa route jusque chez Madame Bataclan qui l’accueille de son plus beau sourire comme si son meilleur client reprenait la place qu’il aurait toujours dû garder. Monsieur Coton l’écoute d’une seule oreille, car au pied de cette porte, il se remémore le jour où il a finalement décidé d’aller jusqu’au bout de ce que la belle Eva lui inspirait.
Il passe ensuite chez le marchand de journaux puis traverse le rond point pour aller s’asseoir un instant devant l’énorme sculpture de
Monsieur Coton a finalement accepté hier la fonction de chef comptable que lui a proposé le directeur de la banque.
8h44… Le voilà confortablement installé dans son nouveau bureau qui a deux fenêtres, une qui tombe sur la rue Voltaire d’où il peut imaginer la présence d’Eva-Nescencia dans son restaurant et l’autre sur les bureaux des employés qu’il supervise. Ses épaules s’affaissent un peu plus lorsqu’il prend vraiment conscience que presque rien n’a changé ici pendant son absence si ce n’est que quelques visages. Il ouvre la section écono-mique du Figaro qu’il n’a pratiquement pas consultée au cours des derniers mois, mais il le referme aussitôt et lance violemment le journal au pied de son bureau. Monsieur Coton prend alors une feuille de papier et laisse s’écouler son profond besoin d’écrire… écrire pour se libérer un peu du poids de l’incontournable présence de cette femme dans son esprit…
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