
L’homme aux fleurs installa sa chaise pliante un peu en retrait du kiosque, alluma sa pipe, et alors qu’il sortait une première branche du bouquet, elle vit aussitôt revenir la lumière dans ses yeux.
(suite)
*
Le lendemain matin, le vieil homme s’arrêta à la boulangerie du coin et y acheta deux chocolatines en plus de commander deux thés pour apporter. Le gardien du cimetière le salua à son passage, mais comme toujours, il ne répondit pas à ses salutations et feignit même de l’ignorer. C’était cependant la première fois qu’il prenait conscience de ce rituel qui n’avait d’autre sens que de créer un lien particulier entre les deux hommes.
Il poursuivit sa marche et s’arrêta un instant pour photographier un banc vide dont l’ombre s’étirait mélancoliquement sur le gravier d’une allée. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la photo, un immense chat tigré bondit sur le banc pour s’y asseoir. Il fut aussitôt convaincu que c’était le même que celui de la veille. Le vieil homme resta pétrifié devant cette seconde apparition. Il n’eut même pas le temps de baisser sa caméra que le chat disparut à travers les dédales des tombes. « Foutu sac à puce! », lui cria-t-il.
La solitude du banc qui l’avait préalablement inspiré le laissa maintenant de glace. Il préféra poursuivre son chemin et essayer d’oublier cette curieuse coïncidence en allant retrouver sa bien-aimée.
─ Salut ma belle… Tu vas bien ce matin?
Seul le croassement de quelques corneilles fit écho à ses paroles.
─ J’ai vu un chat pas très loin… J’espère qu’il ne t’embête pas trop avec tes allergies… C’est tout de même dommage, toi qui aimais tellement les animaux… Celui-ci ressemble étrangement à Chopin, mais je dirais qu’il est plus beau… Je sais ce que tu vas me dire, que j’ai toujours eu une dent contre le chat de ma mère, mais je n’y peux rien… Je l’ai détesté d’ambler, car dès son adoption, ma mère s’est lentement mise à changer… Tu disais que c’était un hasard, mais je n’ai jamais pu m’enlever l’idée de la tête que ce chat était mesquin au point de s’accaparer de la mémoire de ma pauvre mère… Je sentais dans son regard hautain qu’il savourait sa suprématie sur le monde entier alors qu’il trônait sur les jambes de sa maîtresse qui passait maintenant ses longues journées à le flatter d’un regard absent… Elle était la seule à pouvoir l’approcher mis à part toi, mais ça, c’était loin d’être une surprise…
Au moins, les chats du coin te font peut-être un peu de compagnie…
Le vieil homme déposa les deux chocolatines et les thés sur les dizaines de photos qui recouvraient presque entièrement la sépulture de sa femme.
─ Tiens, celle-ci est pour toi et je t’ai pris un thé à la menthe comme tu l’aimes…
Il but son thé silencieusement, puis il prit celui de sa femme qui était maintenant rendu froid et le but d’un trait. Il colla alors quelques nouvelles photos puis quitta péniblement l’endroit en laissant toutefois l’autre choco-latine intacte sur le monument. Qui sait si le faux Chopin n’allait pas venir ainsi lui tenir compagnie.
*
(À suivre)
Vous avez certainement des gens dans votre entourage qui savourent le silence d'une virgule ou le tumulte d'un point à la fin d'une phrase. Si les mots sont les mystérieux passants de l'âme, ils ont toutefois besoin d'un regard pour exister... Si vous aimez cette histoire, vous n'avez qu'à cliquer sur ( Email to a friend) situé tout juste en bas de ce texte pour le partager et n'ésitez pas à laisser un commentaire sur le blog. J'adore vous lire!
Aucun commentaire:
Publier un commentaire