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Prologue
Il y a ceux qui cherchent, ceux qui en ont perdu l’espoir…
Ceux qui avancent, ceux qui suivent…
Ceux qui ont tout, ceux qui n’espèrent plus rien…
Ceux que tous connaissent, ceux qui n’ont que leur ombre pour compagnie…
Ceux qu’un rien fait rêver, ceux que plus rien ne fait rêver…
Ceux qui ont appris à voler, ceux qui n’ont que leurs pieds, cimentés dans cette course où l’on perd souvent à vouloir trop gagner…
Il y a ceux qui s’adaptent à la vie quotidienne et ceux qui comme Monsieur Coton, résistent tant bien que mal à l’oppression d’une grande ville, minuscules bulles qui s’agrippent aux parois de ce grand bouillonnement…
Mais il y a parfois ceux qui aiment…
pas simplement pour être aimés…
I
Il est 8h11… Monsieur Coton a le teint rougeâtre de celui qui vient de descendre 73 marches, incluant le marchepied qui donne accès à la porte d’entrée de son immeuble. Immeuble situé sur une rue où le chant des oiseaux fait place chaque matin au concert d’automobilistes impatients. Il ne lève pas les yeux du trottoir, sachant trop bien que la femme au caniche, sa concierge et voisine de palier, est installée sur son minuscule balcon et qu’elle lui lancera encore une fois de sa voix nasillarde et arrogante :
« Beau costume Monsieur Coton… »
Celui-ci, comme tous les matins, lui répondra d’un léger soulèvement de son chapeau melon sans toutefois la regarder.
Monsieur Coton aime le gris. Il s’est donc procuré, un magnifique complet de cette couleur quelques années plus tôt. Il se rappelle encore de cette journée mémorable alors qu’il fut tellement satisfait de son choix qu’il était retourné le lendemain pour en acheter un deuxième identique. Depuis ce jour, tous les matins vers 8h17, Monsieur Coton dépose son complet de la veille à la blanchisserie du coin et le reprend le soir à son retour du travail, soit entre 19h12 et 19h15 selon son humeur.
Malgré l’immensité de la ville, Paris se résume pour lui aux quelques rues de son arrondissement situé près de la porte de Vincennes et aux trottoirs de la rue des Tuileries qu’il arpente chaque dimanche pour faire le tour des bouquinistes de la Seine. Monsieur Coton demeure dans le 12e arrondissement au sixième étage du 26, rue des Rendez-vous. Il a toujours aimé écrire son adresse comme si elle représentait une sorte de promesse à laquelle il était lié depuis plus de quinze ans.
8h17… Madame Bataclan, la blanchisseuse à la taille ronde, aux seins proéminents et aux bras d’ivoire, vient tout juste de saluer son client le plus assidu que déjà, celui-ci synchronise le rythme de sa marche avec les feux de circulation du coin de l’avenue. Monsieur Coton laisse s’épanouir un léger sourire victorieux sur la rigidité de ses traits, car encore une fois aujourd’hui, il prévoit avoir la chance d’arriver avec la tombée du feu prioritaire pour les piétons pour une douzième journée consécutives.
Il a maintenant une minute d’avance. Il peut donc prendre le temps de fureter des yeux les pages couvertures des revues du kiosque à journaux même s’il ne les achète jamais. Il ne lit que la section économique du Figaro et ceci, pendant 28 minutes avant de débuter son travail.
― Pas de beau temps encore aujourd’hui Monsieur Coton ! lui dit le vendeur de son accent du sud.
― Bof! Vous savez moi…
Il sort la monnaie exacte de sa poche, somme qu’il a pris la peine de préparer avant de quitter son appartement. Il tire alors un journal du dessous de la pile pour être certain que personne d’autre ne l’a touché et il reprend sa route.
Il longe maintenant la place de la Nation tout en portant son regard sur l’immense statue de bronze qui occupe le centre du rond-point. Monsieur Coton aime bien la vivacité de cette scène où deux lions semblent tirer un char conduit par des dieux de l’Olympe. Il ne sait toutefois pas ce que la statue représente exactement puisqu’il n’a jamais pris le temps de traverser la rue et de s’y arrêter pour y lire l’inscription. Il préfère simplement la contempler de loin, ce qui lui permet d’éviter le regard des gens qu’il croise jusqu’au boulevard Voltaire. Arrivé là, il consulte sa montre… 8h25, le voilà rendu devant les portes de la succursale d’une banque où il est comptable depuis près de vingt ans.
Sa relation avec le monde des chiffres est fascinante. Elle forme un amalgame concentré de gestes répétitifs d’une part et du décompte de ceux-ci d’autre part.
Monsieur Coton a toujours été attiré par la sensation réconfortante que lui apporte le calcul. C’est avec les chiffres qu’il humanise une partie de sa vie.
En plus de calculer constamment, Monsieur Coton possède une capacité de mémorisation tellement aiguisée, qu’il lui est impossible d’oublier quoi que ce soit, pour le meilleur, mais trop souvent pour le pire…
Il aurait aimé lui aussi porter un prénom inspirant et évocateur tel que Don Quichotte, le héros de son livre préféré. Il a d’ailleurs lu et relu ce roman tout au long de sa vie. Mais on l’a plutôt prénommé sévèrement Jean…
Jean Coton.
Sa vision très cartésienne et mathématique de la vie a pris naissance dès sa jeunesse et plus précisément dans sa relation quotidienne avec son père. Les mille deux cent vingt-huit coups derrière la tête lui ont appris à respecter l’autorité de celui-ci. Son enfance se déroula donc dans une perpétuelle quête de perfection pour ainsi devenir un fils modèle. Il espérait ainsi accroître le nombre des maigres marques d’affection qu’il recevait de son paternel, mais malgré tous ses efforts, l’enfant ne conserva qu’un vague sentiment d’indifférence de son père durant toutes ces années.
Si au moins Monsieur Coton avait eu une mère pour compenser. Une vraie mère qui l'aurait cajolé et qui aurait réconforté ses peurs. Une mère qui l’aurait vu rire et qui l’aurait écoutée pleurer. Mais au lieu de cela, c’est une vieille femme du village qui lui servit de nourrice pendant que son père travaillait constamment à son bureau de notaire. Cette femme conserva d’ailleurs toujours une sorte de méfiance face à cet enfant bâtard qu’il était.
Le petit Jean n’eut jamais la chance de discuter avec son père de toutes ses préoccupations maternelles. Ce dernier se réfugiait dans une rigueur et une sévérité excessive face à lui dès que le mot maman faisait surface lors d’une conversation. Il entraîna finalement dans sa mort le mystère de l’absence d’une mère pour son fils. Il n’est donc pas surprenant que Jean Coton ait perdu depuis longtemps la capacité d’étonnement et d’illusion face à la vie...
Toujours dans sa logique, c’est sans douleur qu’il a vu son père mourir d’un cancer, les statistiques jouant malheureusement contre lui…
(à suivre demain)
Les aventures de monsieur Coton, un plaisir à relire...
RépondreEffacerJ'attends la suite,je ne sais pourquoi mais ce récit me touche...
RépondreEffacerTu verras Grace, c'est une merveilleuse histoire :)
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