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Prologue
Comme un éclair, elle était entrée un jour dans sa vie, mais ce matin-là, alors qu’un orage approchait sour-noisement de la ville, le vieil homme s’éveilla en sursaut suite à un violent coup de tonnerre et se trouva bien seul. Son grand lit était à moitié défait et l’oreiller où il avait tant porté les yeux au cours de sa vie était désormais vide et bien enseveli sous le drap qui la recouvrait comme on l’avait fait avec elle à la morgue avec son cadavre fraîchement recueilli.
Complètement bouleversé, il se mit à actionner le bouton de la lumière de chevet qu’il n’éteignait pourtant plus, mais toute la chambre resta plongée dans le noir. La tempête frappait fort. Toute la ville se trouvait sans électricité et ne semblait exister que sous le projecteur des éclairs qui irradiaient le ciel. Le vieil homme fut donc confronté à ce qu’il n’était toujours pas en mesure de fuir à travers les ténèbres de la nuit.
Pour essayer de se calmer, il se mit à observer son ombre zébrée qui se dessinait sporadiquement sur le mur opposé à son lit. Il prit alors son appareil photo numérique et se mit à prendre une série de clichés du mur qui s’illuminait sous la lueur de la foudre.
Le vieil homme se calma peu à peu comme si le fait de regarder à travers l’objectif de sa caméra lui permettait de s’évader de lui-même et surtout, de la réalité à la quelle il était désormais confronté. Mais tout au fond de lui, il espérait sans doute qu’un jour, une de ces photos allait enfin lui révéler la preuve qu’elle existait toujours... et pas seulement en lui…
I
En ouvrant les yeux, Cédrika sentit son jeune chat qui venait de se blottir dans le creux de ses bras. L’animal semblait terrorisé par les coups de tonnerre qui s’éloignaient peu à peu alors que la chambre, ainsi qu’une partie de la ville, étaient maintenant plongées dans une noirceur totale suite à l’orage qui venait de passer.
― Tu as peur ma petite Canaille?
Elle prit son chaton qui se mit instantanément à ronronner comme le moteur d’un aquarium au contact de ses mains, puis se leva du lit pour aller s’asseoir sur le rebord d’une fenêtre avec lui. Elle put ainsi assister au spectacle son et lumière proposé par son chat et par le ciel d’où jaillissaient des éclats de feu. Il faisait encore nuit, mais Cédrika savait qu’elle ne serait plus en mesure de dormir. L’insomnie la guettait facilement depuis quelque temps. La jeune femme ne s’était toujours pas habituée au bruit ambiant de la ville qui contrastait avec le silence de la campagne qui avait bercé toute son enfance, mais bien plus que le bruit, sa famille lui manquait beaucoup.
― Tu sais que j’aimerais bien moi aussi être un chat parfois… Ta vie semble si simple et tu ne manques jamais de sommeil espèce de paresseux…
Canaille lui répondit d’un de ses éternels ronronnement tout en fermant les yeux pour mieux savourer les caresses de sa jeune maîtresse.
Elle resta là jusqu’à ce que les lueurs de l’aube viennent la sortir d’un de ses éternels questionnements.
Il était cinq heures du matin lorsque Cédrika décida d’aller faire son jogging matinal pour se changer les idées.
Elle courut longtemps ce jour-là, comme pour mieux exorciser un certain désabusement qu’elle ressentait depuis peu, puis rentra chez elle se préparer pour ses cours et son travail.
*
Le vieil homme marchait d’un pas lourd. Son visage était sombre et hostile alors qu’il n’avait plus fermé l’œil de la nuit après l’orage. Il avait donc préféré sortir pour airer dans la ville comme il le faisait quotidiennement depuis le départ de sa femme et comme à son habitude, sa promenade débuta par une visite au cimetière du quartier. C’est là qu’il la retrouvait.
Le gardien s’était lentement habitué aux ronchonnement du vieil homme qui semblait se parler à lui-même à son passage et qui ne l’avait jamais vraiment salué, mais il savait que tous avaient leur manière bien personnelle de vivre un deuil qui les hantait et c’était probablement sa manière à lui de venir ici, pensa-t-il.
Ce dernier se rendit jusqu’à la sépulture de sa bien-aimé.
― Si ça continue, on n’aura plus d’été… Tu as vu l’orage cette nuit? Pfff… Temps de merde ouais… Tu peux le dire… J’espère que ça ne coule pas trop en dessous… Avec tes rhumatismes, ce n’est pas ce qu’il a de mieux…
La voix du vieil homme devint plus sourde et éraillée alors que ses mains se serrèrent l’une contre l’autre. Sa lèvre inférieure se mit à trembler et si on avait pu entendre sa voix intérieure, on aurait pu percevoir le murmure de son âme qui disait : « J’aurais tellement voulu te réconforter cette nuit et sentir ta présence dans mes bras… Tu me traitais parfois de vieux bouc quand je riais de ta peur des orages, mais malgré toutes les années que nous avons passé ensemble, je ne t’ai jamais dit que moi aussi j’avais peur du tonnerre et c’est ton souffle au creux du mien qui m’a toujours empêché de trembler… »
L’homme sortit une série de photos de son long imperméable qu’il portait beau temps, mauvais temps et poursuivit son monologue à voix basse.
― Regarde… Si ce n’est pas mon ombre qui tremblait, ce sont mes mains… Des mains qui cher-chaient désespérément les tiennes…
Si tu savais à quel point tu me manques…
Une larme se forgea un chemin à travers le désert aride de ses yeux. On aurait dit qu’il riait tel un mirage dans le sable de ses tourments.
*
Il était 16h00 quand Octavio vit arriver la belle Cédrika dans l’allée du square. La jeune femme passait rarement inaperçue. On aurait dit qu’un éternel parfum la précédait plutôt que de la suivre.
― Comment allez-vous jolie Reine?
― Ohhh! Si ce n’est pas mon poète préféré… Mais cessez donc gentil homme avec vos compliments, vous ne voyez dont pas que le teint diaphane de ma peau ne peut cacher toute mon intimidation?
― C’est que j’aime vous voir rougir très chère… Existe-t-il une plus belle couleur que le rose d’une joue qui se laisse altérer par la simple portée d’une parole ou d’un regard?
― Dans mon cas, je dirais que c’est pathétique, surtout avec les cernes sous les yeux qui me donnent en ce moment l’air d’un raton laveur…
― Il y a définitivement des animaux plus jolis que d’autres, dit-il en riant. Mais il faut dormir parfois Cédrika… Faites languir un peu vos amants…
La jeune femme se mit à rire à son tour.
― Si au moins c’était le cas… J’ai passé une partie de la nuit à apprendre une scène que je dois jouer demain et l’autre à me faire réveiller par mon chat qui avait peur de l’orage… Vous avez vu?
― Je ne manque jamais un tel spectacle… Je vais même vous avouer que souvent, je sors de chez moi et je vais m’installer dans mon jardin pour mieux ressentir ce déferlement d’énergie et sentir la pluie fouetter mon visage…
― C’est bien ce que je croyais… Vous êtes aussi fou que l’on croit, mais peut-être un peu plus sage qu’on le pense aussi…
Cédrika ouvrit la porte du minuscule cabanon qui lui servait de boutique aux fleurs.
― Ohhh vous avez reçu des tournesols… Il commence pourtant à se faire tard pour la saison, lui dit-il à travers la porte restée entrouverte.
La jeune femme cherchait un endroit pour déposer son sac à travers ce capharnaüm odorant qui ne laissait de place qu’à une petite table de travail. C’est à cet endroit qu’elle s’offrait à ses plus colorés amants en confectionnant des bouquets de fleurs qu’elle vendait par la suite aux passants. Octavio était son client le plus assidu. Il venait presque à tous les jours et lui achetait plusieurs bouquets qu’il s’amusait par la suite à distribuer gratui-tement à tous ceux qui l’inspiraient afin de simplement parler un peu avec eux. L’homme aux fleurs comme elle aimait le surnommer racontait la vie comme pas un. Il était devenu un ami et le seul confident masculin qu’elle n’ait jamais eu.
― En passant, le type aux lunettes est encore venu pour toi il y a quelques heures…
― Vous lui avez parlé?
― Non… En fait, je l’ai simplement vu assis sur un des bancs du parc, mais il faisait semblant de lire et il jetait constamment des coups d’œil vers ici… Je suis certain que c’est toi qu’il attendait…
― Vous avez trop d’imagination…
Cédrika baissa toutefois la tête en signe de découragement. Il s’appelait Julien. Celui-ci avait réussi à la séduire quelques semaines auparavant alors que dans un geste théâtral, il avait déposé une paire d’écouteurs sur ses oreilles pour la surprendre et avant même qu’elle n’ait le temps de dire un mot, la musique avait commencé. La jeune femme fut tout de suite charmée par la voix prenante du chanteur Damien Rice qu’elle adorait. Elle ferma les yeux un instant pour mieux savourer ce moment, mais lorsqu’elle les ouvrit, Julien avait disparu, la laissant seule parmi toutes les fleurs qui l’entouraient alors que le dernier accord de la chanson se dissipait à travers son regard. Elle fut aussitôt charmée par l’originalité du jeune homme et par la chanson qu’il avait choisie. Elle décida donc de le revoir à quelques reprises par la suite, mais fut bien vite désenchantée devant son manque de candeur et par la rationalité qui dictait la majorité de ses actes.
― Tu devrais lui offrir des œillets une fois pour toutes à ce garçon… Peut-être qu’il comprendrait mieux le langage des fleurs que ceux de tes silences…
― J’aurais trop peur qu’il prenne ce geste comme une preuve d’amour…
― Tu en connais beaucoup toi des gens qui offrent des œillets à la personne qu’ils aiment? Je n’en ai justement jamais vu ici…
La jeune femme se mit à rire.
― Non, mon patron les déteste… Elle repensa aussitôt à Julien. Vous avez peut-être raison pour les oeillets, mais une femme qui offre des fleurs à un homme, c’est différent… Peu importe lesquels, il sera probablement charmé… Julien est ce genre de garçon qui ne voit pas au-delà du geste, ou plutôt, il ne verra que ce qu’il veut bien voir… Vous êtes tous pareil, dit-elle en souriant.
― Jusqu’à ce qu’une femme nous rende unique!
Cédrika observa Octavio du coin de l’œil tout en s’affairant à son travail. Cet homme aux cheveux blancs et au sourire éternel était effectivement différent des autres. Le temps ne semblait pas avoir de prise sur lui, mais son âme avait assurément été modelée un jour par une femme qu’elle avait l’impression de très bien connaître maintenant sans toutefois l’avoir jamais rencontré.
*
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